Quelques ouvrages de référence incontournables en littérature jeunesse
Les ouvrages de référence incontournables en littérature jeunesse
Le Dictionnaire du livre de jeunesse
Isabelle Nières-Chevrel & Jean Perrot (dir.)
Electre-Cercle de la librairie, 2013La parution de ce dictionnaire est un évènement : s’il existait déjà quelques dictionnaires de littérature jeunesse, comme par exemple ceux de de Marc Soriano, de Nic Diament ou du CRILJ, ils étaient assez anciens et beaucoup moins complets que cet imposant ouvrage (1034 notices, 826 illustrations, 989 pages) qui fait référence sur la littérature de jeunesse française et francophone de ses origines à nos jours. Bien que centré sur cette production, l’ouvrage collectif auquel ont collaboré 133 chercheurs, enseignants et professionnels du livre et de l’enfance propose également une soixantaine de notices axées sur la réception française d’œuvres d’auteurs étrangers ayant travaillé dans notre pays ou qui y sont devenus des classiques (Grimm, J.K. Rowling, C. Collodi, A. Lindgren, etc.). La majorité des entrées concernent des personnes − écrivains, illustrateurs, éditeurs, imprimeurs, conteurs, bibliothécaires (très peu), critiques, pédagogues. On trouve ensuite les maisons d’édition, les grandes collections, les périodiques, mais également 85 articles de synthèse plus développés portant à la fois sur les différents genres ou types d’ouvrages (de façon sommaire sur la BD, compte-tenu du nombre de dictionnaires sur le sujet), sur les techniques (typographie, reproduction de l’image), sur les institutions et sur diverses thématiques : comique, discours critique, école et littérature jeunesse, parodie, photographie, robinsonnades, etc. Un des grands intérêts de ce livre est de proposer à la fois une approche historique et contemporaine : Comenius, théologien et éducateur tchèque (1592-1670) côtoie Anne Herbauts, une des benjamines née en 1975. Y figurent donc de manière très appréciable des titres récents (jusqu’à 2011). Les notices, souvent suivies d’une bibliographie critique, permettent d’approfondir ses connaissances sur le sujet abordé. Abondamment illustré et imprimé sur papier glacé, il s’agit également d’un bel objet agréable à feuilleter. Au-delà d’une recherche précise, le lecteur pourra piocher des informations au fil des pages comme par exemple découvrir les pseudonymes ou des détails de la vie d’auteurs qu’il apprécie. On apprend aussi beaucoup sur l’histoire, souvent mal connue, des périodiques et des maisons d’édition et, de façon plus générale, sur toute l’histoire de la littérature de jeunesse. Il y a bien sûr des manques et des oublis – en particulier en ce qui concerne les années 1950 et 1960 − mais c’était inévitable. Si l’approche est parfois un peu trop universitaire, elle n’ôte rien à la réussite de ce dictionnaire tout public− ouvrage de référence indispensable à ceux qui s’intéressent à la littérature de jeunesse.
Le Pouvoir fascinant des histoires
Marie Saint-Dizier
Editions Autrement, Mutations, 2009Marie Saint-Dizier choisit de parler de la littérature de jeunesse du point de vue de l’écrivain, qui est le sien. A quoi servent les livres de jeunesse ? A rendre possible une rencontre, dont l’auteur décline les modalités en trois chapitres. Elle est d’abord une rencontre organisée par les adultes qui ont leur vision de ce que doit être le monde des enfants. Ils sélectionnent des œuvres destinées à les protéger. L’univers de leurs livres, pétri de bonnes intentions, se partage entre des héros qui se plient aux normes adultes et d’autres, au contraire, en rébellion. Elle est surtout la rencontre de l’enfant lecteur avec des histoires, des personnages. Parmi une offre hétéroclite, entre livres et images de bandes dessinées ou de films, il sait se frayer sa voie, trouver ce qui prend sens pour lui, avec le plaisir, qui en découle, d’inventer ses propres histoires à partir de dialogues ou d’images tirées des livres. Il y a des classiques que l’on revisite toute sa vie parce que leur message se renouvelle chaque fois. La réalité de cette rencontre est confirmée par les écrivains qui acceptent de parler de leur rapport vivant à la littérature de jeunesse, dans le dernier chapitre. De cette lecture, le prescripteur potentiel sort revigoré. Au-delà des répartitions par tranches d’âge, on affirme que le lecteur adolescent glane son bien, en fonction de ses élans, de ses besoins, d’influences imprévisibles. Et aussi que la littérature de jeunesse reste la référence à laquelle chacun revient avec émotion pour constater qu’elle parle tout au long de la vie et nourrit une existence adulte. Ce livre chaleureux se présente comme un témoignage de ce que la lecture a représenté pour l’auteur : un espace de rencontre vital, dont l’évocation fait naître, à son tour, des souvenirs de lectures fondatrices chez l’adulte.

La Littérature de jeunesse
Nathalie Prince
Armand Colin, 2010Nathalie Prince pose une question qui fait débat parmi ceux qui regrettent le peu de cas fait de la littérature de jeunesse. Celle-ci est-elle un genre littéraire défini par la permanence de ses éléments ? L’auteur justifie une réponse affirmative par trois arguments. D’abord, plus le sentiment de l’enfance s’est précisé, plus la littérature de jeunesse s’est consacrée à la singularité de l’enfant, plus elle l’a l’exclu d’une certaine littérature, la grande. Ensuite elle évoque un traitement du personnage aux antipodes de celui qui domine dans la littérature adulte. Polymorphe, moteur essentiel du récit, simplifié à l’extrême pour être lisible, il est bien souvent sans épaisseur psychologique, ce qui ne l’empêche pas d’être source d’identification pour un jeune lecteur dont il accompagne l’évolution. Enfin elle oppose la poétique de la littérature de jeunesse à celle de la littérature adulte. Fondée sur l’existence d’une double lecture, celle de l’adulte et de l’enfant, de l’image et du texte, sa simplicité qui prend en compte la relative incompétence du jeune lecteur débouche sur la richesse d’une lecture plurielle. Cultivant le mythe, le sentiment de sécurité généré par les cycles et les séries, cela ne l’empêche pas de multiplier les audaces visuelles et textuelles. Est-il possible de se laisser convaincre par l’argumentation de l’auteur ? La question du genre littéraire soulève de nombreuses interrogations, et il est difficile de raisonner sur une littérature adressée à la petite enfance comme au jeune adulte. Mais l’ouvrage a une immense qualité : il invite à explorer le vaste champ de la littérature de jeunesse, il ouvre des perspectives, multiplie les rapprochements littéraires, suit la filiation des littératures européennes. Il y a là un outil d’analyse et de réflexion pour ceux qui s’intéressent au développement de cette branche de la littérature.

Introduction à la littérature de jeunesse
Isabelle Nières-Chevrel
Didier jeunesse, « Passeurs d’histoires », 2009Dix chapitres pour établir un état des lieux des connaissances acquises sur la littérature de jeunesse. Les deux premiers suivent la difficile gestation de cette littérature à travers l’évolution des termes qui la désignent ; et un historique de son invention à partir d’emprunts à la pédagogie, au genre romanesque ou à la tradition orale des contes. Les trois chapitres suivants soulignent son enracinement dans l’existant, la littérature orale, la présence d’écrivains en quête de leur propre enfance vécue comme un espace de liberté, des formes littéraires héritées de la littérature didactique, des formes énumératives de la littérature orale, ou des grands genres de la littérature générale. Un chapitre entier consacré à l’album inventé par la littérature de jeunesse analyse son originalité d’« iconotexte ». Les derniers chapitres lient l’apparition du personnage de l’animal ou de l’enfant dans cette littérature à l’évolution du regard posé sur la jeunesse. Ils concluent sur ce qui demeure un problème : le non-respect des originaux récrits, adaptés, traduits approximativement pour les rendre accessibles au jeune public ; le fossé entre les goûts des jeunes lecteurs pour les best-sellers et ceux des adultes qui se soucient d’art et de conservation du patrimoine. L’exposé, clair, est écrit dans une langue qui évite les termes spécialisés. La perspective historique et comparatiste donne accès à des œuvres nombreuses et diverses, replace la littérature de jeunesse dans un contexte plus large, et en offre une vue d’ensemble. C’est aussi un livre engagé qui défend une certaine idée de la littérature de jeunesse, rappelle qu’elle n’est pas née d’hier, qu’elle suit l’évolution de la place de l’enfant dans la société, qu’elle n’aura le statut de littérature à part entière que si l’on préserve son patrimoine en évitant de laisser tomber dans l’oubli les œuvres des siècles passés. Voilà un livre très utile pour tous ceux qui ont besoin d’informations sur ce domaine de la littérature.

Qui a peur de la littérature ado ?
Annie Rolland
Thierry Magnier, 2008Alors que la polémique sur la violence dans la littérature pour adolescents, émergeait lors du Salon du Livre Jeunesse de Montreuil, en 2007, un an après, la psychologue clinicienne Annie Rolland, en analyse les contenus et les enjeux. En six chapitres, l’auteure tente de répondre à cette question. Elle démontre tout d’abord le pouvoir des livres et traite également de la censure, entre subversion et perversion. Elle aborde également les « Adolescences » et l’importance de la littérature à un âge où tout n’est que métamorphose. Elle revient ensuite sur la question de la censure, notamment en donnant comme exemple celui d’un professeur de français, conduit au commissariat de police car il avait donné à lire à ses élèves, Le Grand Cahier d’Agatha Kristof. Annie Rolland donne ensuite la parole à des adolescents qui apportent leurs points de vue sur des romans jeunesse comme Sobibor de Jean Molla ou encore Le Garçon qui aimait les bébés de Rachel Hausfater. Et les auteurs qu’en pensent-ils ? Gudule, Melvin Burgess et Hubert Ben Kemoun interviennent également dans cet essai. Pour Burgess, « Ecrire, c’est aussi prendre le risque de ne pas plaire à tout le monde, et le choix de la singularité est après tout le signe d’une littérature tonique ». L’auteur clôt enfin son propos en rappelant que le langage et de fait la littérature, tiennent une place prépondérante dans la construction de l’identité et que les « violences écrites » ne sont en rien dangereuses, bien au contraire : « un lecteur choqué, loin d’être détruit est puissamment averti ».