Celui dont on ne doit pas prononcer le nom n°168, décembre 2018

0,0010,00

Description

Dernier numéro

Sommaire « Celui dont on ne doit pas prononcer le nom »

LECTURE JEUNE 168 | DÉCEMBRE 2018

Edito par Sonia de Leusse-Le Guillou, directrice de Lecture Jeunesse

Les fans d’Harry Potter auront repéré la source d’inspiration de notre titre : « celui dont on ne doit pas prononcer le nom », c’est le terrible Voldemort, entouré de Détraqueurs et de Mangemorts. Or, pour une partie de la société contemporaine, « celui dont on ne doit pas prononcer le nom », c’est Dieu. Sujet interdit. Pourtant, si l’on en croit les chiffres, seulement 36 % des jeunes se disent religieux et 6 % pratiquent une religion régulièrement (p. 14-15). À ce premier tabou, pointé par ce contrepied humoristique, s’oppose un autre : dans certains contextes, l’athéisme, au contraire, est inacceptable. Parler de croyances, qu’elles soient religieuses ou non, met mal à l’aise ou fait peur.

Pourtant, la laïcité est une richesse : elle permet d’exprimer son opinion, ses convictions, religieuses ou areligieuses. Ce cadre légal garantit la liberté de conscience de tous les citoyens. Il préserve le droit de faire mention des religions, de la foi des jeunes, de leurs croyances, au même titre que leur non-croyance. Mais la laïcité compte de très nombreuses publications ces dernières années. Nous avons donc délibérément choisi de ne pas y consacrer notre numéro, même si cette notion fondamentale reste omniprésente dans les débats.

Un sujet différent, lié, aurait pu guider ce dossier, celui de la radicalisation. Elle semble désormais le prisme par lequel est perçu la religiosité – comme si les termes se superposaient. La société est assez démunie et la presse plutôt bavarde sur le phénomène. Plutôt que de considérer la spiritualité des adolescents comme forcément mortifère, nous avons souhaité poser d’autres questions. Comment prendre en compte l’expression de la spiritualité, de la religiosité ou de la non-croyance des jeunes dans un contexte tendu, crispé, qui craint les mots ? « Comment faire avec Dieu », pour reprendre le titre pertinent de La Revue des livres pour enfants qui s’interrogeait déjà en 2016 ? Si le doute est intrinsèquement lié à toute interrogation philosophique ou spirituelle, il est également au cœur de l’adolescence. Prolonger cette réflexion aujourd’hui, tel était notre objectif commun au sein du comité de rédaction. Nous savions que nous nous attaquions à un sujet sensible, avec la certitude, pour chacun, qu’il devait être soulevé.

Regarder les religions en face Entretien avec Jacqueline Costa-Lascoux, sociologue, juriste et psychanalyste

Religion, n.f. : sujet à éviter pour passer un repas de famille – ou une heure de classe – tranquille. Les débats obligent à marcher sur des œufs ou se terminent en pugilat. Avec des adolescents, l’entreprise est encore plus délicate. Leurs remarques, parfois provocantes, déconcertent les adultes. Depuis les attentats de 2015 en France, l’ombre de la radicalisation plane sur tous les échanges. Pourtant, refuser de parler de religion accentue le problème. Quand la famille et l’école ignorent les questions existentielles des jeunes, elles font le lit de l’endoctrinement.

Dico philo. Les mots justes pour parler de croyances Définitions de Jacqueline Costa-Lascoux, sociologue, juriste et psychanalyste

Pour débattre autour des convictions de chacun, mieux vaut s’entendre sur les mots. Confondre par exemple athéisme avec laïcité peut provoquer bien des malentendus… Ce « dico philo » clarifie quelques grandes notions pour que tous, croyants ou non, restent en bons termes.

Focus : Les croyances des jeunes adultes en bref Par Christelle Gombert, rédactrice en chef

La France, « fille aînée de l’Église », est peuplée d’irréligieux. Seuls 36 % des 16-29 ans déclarent appartenir à une confession. Pourtant, les jeunes Français ne sont pas aussi athées qu’ils en ont l’air. Ils développent au contraire leur propre relation au divin, à l’écart des institutions et des dogmes. Dans cette spiritualité à la carte, le doute et les choix individuels prennent plus d’importance.

Personnalité, éducation : ce qui pousse les ados à croire ou non Entretien avec Vassilis Saroglou, professeur de psychologie des religions

L’adolescence, âge du sacré ? Peut-être, mais pas forcément du religieux. La quête d’absolu et de cohérence des jeunes peut aussi les amener à se tourner vers la non-foi et l’athéisme. Et si l’éducation et l’environnement influencent leur choix, ce n’est pas là que tout se joue. La personnalité, structurée en grande partie par la génétique, conditionne aussi l’attrait pour la religion.

Focus : Le scoutisme pour construire sa spiritualité Par Christelle Gombert, rédactrice en chef

100 000 : c’est le nombre de jeunes scouts français, d’après la Fédération Française du Scoutisme. Si les scouts catholiques sont les plus connus, il existe aujourd’hui des as¬sociations représentant toutes les convictions. Lorsque l’école et la famille éludent la spiritualité, ces mouvements permettent aux ados de poser sans crainte leurs ques¬tions existentielles.

Dieu Football Club. Quand les idoles parlent de leur foi Entretien avec Nicolas Vilas, journaliste sportif et auteur

« Des idoles idolâtrant leur Dieu, sous le regard des caméras du monde entier ». Nicolas Vilas décrit ainsi l’issue de la Coupe des Confédérations 2009. Victorieux, les Brésiliens fêtent alors leur victoire par des prières et arborent des t-shirts « I belong to Jesus » (« j’appartiens à Jésus »). Pour son ouvrage Dieu Football Club (Hugo & Cie, 2014), le journaliste sportif a donc cherché à comprendre les liens entre football et religion. Comment ces idoles vivantes concilient-elles foi, célébrité et vie profession¬nelle ? Loin de les considérer taboues, les joueurs témoignent souvent volontiers de leurs convictions – notamment auprès des jeunes.

La laïcité à l’épreuve du terrain 3 témoignages de bibliothécaire, professeure documentaliste, formatrice en ESPE

Trois professionnelles de la culture, trois situations problématiques. Comment répondre à une élève qui affirme qu’il est interdit de parler de religion à l’école ? Comment réagir quand les croyances d’étudiants troublent le déroulement d’un cours ? Que faire d’un livre qui promeut une certaine spiritualité ? Autant de difficultés concrètes qui soulèvent des questions de fond sur la laïcité.

Religions et littérature ado, 1 – Il était une foi ? Article de Christelle Gombert, rédactrice en chef, à partir d’entretiens avec 3 éditeurs

Au premier abord, la littérature jeunesse semble éviter prudemment les religions. Face aux nombreuses polémiques sur le sujet, on comprend que les auteurs préfèrent l’occulter. Toutefois, les livres pour ados ne sont pas un désert absolu en termes de spiritualité. Dans les genres de l’imaginaire, notamment, les questions métaphysiques sont très présentes. En revanche, dans les textes réalistes, les religions se résument à de simples éléments de contexte. Et si elles sont au centre du récit, c’est que le roman parle de radicalisation. Une tendance éditoriale qui désole les trois éditeurs interviewés.

Religions et littérature ado, 2 – Le roman à message, ennemi n°1 des éditeurs ? Article de Christelle Gombert, rédactrice en chef, à partir d’entretiens avec 3 éditeurs

En France, 90 % des livres jeunesse traduits viennent de l’anglais. Malgré cette pré¬gnance, certains livres anglo-saxons reste « trop américains » pour les éditeurs fran¬çais. Les différences culturelles s’étendent au religieux et viennent brouiller la lecture. Les auteurs mormons, par exemple, publient aux États-Unis certains best-sellers inadaptés au lectorat de l’Hexagone. Toutefois, il ne s’agit pas de censurer les textes d’écrivains croyants. Pour les trois éditeurs interviewés, la religion a sa place en littérature, tant qu’elle reste au service de l’histoire. Et non l’inverse.

Retour vers le futur des religions. Spiritualités dans la SF d’hier et d’aujourd’hui Article de Claire Cornillon, maîtresse de conférences en littérature comparée

Qu’est-ce que l’infini ? L’âme existe-t-elle ? Les êtres humains ont-ils un destin ? Plus que des réponses, la science-fiction apporte des questions sur le réel. Elle imagine d’autres univers pour pousser les lecteurs à voir leur monde autrement. C’est par exemple le cas de Margaret Atwood : trente ans après avoir écrit La Servante écarlate, elle ébranle encore l’Amérique puritaine. Au travers de la science-fiction, les auteurs critiquent les religions, en créent de nouvelles ou explorent leur propre spiritualité. Et font ainsi rimer robotique avec métaphysique.

Enquêter sur les croyances des jeunes, « une expérience étonnante » Entretien avec Marion Gillot, rédactrice en chef du Monde des ados, auteure de T’y crois ou pas et Les Religions mode d’emploi

Pour parler de religions aux ados, Marion Gillot a mené l’enquête. Ses investigations l’ont emmenée de découverte en surprise. Afin de mieux comprendre l’islam, par exemple, elle a assisté à la prière du vendredi dans une mosquée. Une grande pre¬mière pour cette journaliste qui admet n’avoir reçu « aucune éducation religieuse ». Dans ses livres, elle encourage les lecteurs à l’imiter en « poussant la porte » de chez les autres, convaincue que la connaissance élimine la peur.

Le e-dossier de la revue

 

Informations complémentaires

Format

Numérique, Papier