
Entre mixité et non-mixité : quelles pratiques pour une médiation scientifique inclusive ?
Par Agathe Franck
Année de publication | 2025 |
Format | Article |
Thème | Lecture, Ecriture, Oralité |
Mots-clés | Sciences, Sociologie, Sujets de société |
Depuis sa création, Lecture Jeunesse défend une conception de la lecture qui ne se limite pas à celle des seuls textes littéraires. Créé en 2017, son Observatoire de la lecture et de l’écriture des adolescents a donc porté son attention sur les pratiques de lecture des jeunes concernant des sujets scientifiques, et sur l’incidence des différents types et genres de lecture dans la construction d’une démarche critique et/ou scientifique.
Le développement du goût des sciences chez les adolescentes en est une des priorités. Plusieurs enquêtes ou études pilotées par l’association ont creusé cette question :
- En 2023, une première enquête avait examiné comment les objets culturels influencent l’orientation des filles vers les sciences.
- Deux études ont été publiées en février 2025, sur ce même axe : l’une portant sur les représentations dans l’offre éditoriale, l’autre sur les médiations scientifiques.
Lors de l’événement organisé à l’occasion de la parution de ces dernières, la préparation et les échanges entre le public et les intervenantes ont fait émerger une question : celle de la mixité dans les actions de médiation scientifique, et par extension, de l’efficacité respective des modèles mixtes ou non-mixtes.
La question mérite d’être posée lorsque l’on veut attirer les filles vers les sciences. : quel est le contexte de médiation le plus favorable ? En effet, si les garçons semblent mieux réussir en contexte mixte1Morin-Messabel, Christine. « Contexte scolaire et mixité – Pistes de réflexion en psychologie sociale ». Diversité, n°138 (2004) : 73-78. https://www.persee.fr/doc/diver_1769-8502_2004_num_138_1_2306, les filles, quant à elles, auraient selon plusieurs études de meilleurs résultats en sciences dans un contexte de non-mixité2Bréau A, Lentillon-Kaestner V, Hauw D. “Le retour de la non-mixité à l’école. État des recherches, maintien des tabous et « doing gender »”. Revue Française de Pédagogie, n°194 (mars 2016) : 109 38. https://journals.openedition.org/rfp/4983#tocto2n3.
Dans le cas des apprentissages scientifiques, une forme de compromis semble s’être installée avec l’organisation d’événements ponctuels en non-mixité (réservés aux filles), organisés hors de l’école où la mixité est généralisée depuis les années 19703Pezeu, Geneviève. « Des filles chez les garçons, l’apprentissage de la mixité ». Vendémiaire, 2020. https://hal.science/hal-03896768/. Ces initiatives visent notamment à proposer aux jeunes filles des espaces sécurisants, non stéréotypés et renforçant leur confiance en elles4Paris-Romaskevich, Olga. « Vers une médiation en phase avec la société : réflexion autour des Cigales ». Gazette de la Société Mathématique de France, n°174 (octobre 2022) : 69-74. https://smf.emath.fr/system/files/filepdf/G174-BD.pdf#page=71.
Mais les médiations en non-mixité encouragent-elles réellement l’intérêt des adolescentes pour les sciences ? Quels types de médiations mettre en place pour les garçons, et comment évaluer les dispositifs ? Comment articuler non-mixité et mixité dans des actions de médiation, et en intégrant fortement la lecture dans ces dispositifs ?
C’est à ces questions que Lecture Jeunesse a souhaité répondre lors d’un webinaire « Panier du médiateur » organisé le 3 juin 2025, tourné autour d’une question centrale : comment la non-mixité peut-elle être envisagée comme levier d’égalité et d’apprentissage, notamment dans l’éducation et la médiation scientifique ?
Trouver l’équilibre entre mixité et non-mixité à l’école
Antoine Bréau, enseignant agrégé d’EPS, docteur en sciences du sport, spécialiste de la question de l’égalité dans le sport à l’école, a ouvert la réflexion en exposant les enjeux de la non-mixité en EPS (Éducation Physique et Sportive). Il a rappelé que l’école reste souvent embarrassée par la question de la mixité, tandis que la non-mixité émerge comme une option éducative discutée dans plusieurs pays. Quatre axes principaux justifient cette démarche : les différences cérébrales supposées entre filles et garçons (thèse controversée) ; la fausse réussite des filles, paradoxale : très bons résultats scolaires mais une fois la fin des études, elles tendent à ne pas s’engager vers des filières plus prestigieuses ; les difficultés scolaires des garçons ; et les effets pervers de la mixité, tels que le sexisme caché et la reproduction des stéréotypes de genre.
Les recherches sont souvent limitées, les comparaisons entre les établissements mixité et non-mixité restent controversées car se pose la question de l’enseignement public et privé, et un tabou persiste autour de la non-mixité.
Les résultats d’Antoine Bréau montrent que ni la mixité ni la non-mixité ne garantissent l’égalité. La non-mixité peut offrir des espaces de liberté, notamment pour les filles, mais elle n’efface pas les rapports de pouvoir ni les violences de genre, qui persistent sous d’autres formes. Les pratiques éducatives doivent donc être repensées pour devenir de véritables outils de rencontre et de réflexion sur le genre, en identifiant les situations propices à l’affirmation de stéréotypes et en adaptant les activités pour favoriser l’émergence d’identités plurielles et authentiques chez les adolescentes et adolescents.
Expérimenter la médiation scientifique en non-mixité : l’expérimentation de La Rotonde
Christine Berton, chargée de médiation Sciences & Société – La Rotonde (École des Mines de Saint-Étienne), a partagé l’expérience du projet « Sciences en tous genres », qui propose des parcours de découverte scientifique en mixité et en non-mixité pour des collégiens et lycéens. Ce projet, expérimenté depuis 2022, est né d’une volonté de lutter contre les stéréotypes de genre dans les sciences, et s’appuie sur des ateliers ainsi que des rencontres avec des chercheuses et des chercheurs.
Les retours d’expérience montrent que la non-mixité favorise la prise de parole et la participation des filles, tandis que les garçons tendent à s’autoréguler dans leurs comportements. Cependant, la mixité reste essentielle pour confronter les points de vue et travailler sur les stéréotypes. L’édition 2025, tournée vers trois collèges ruraux, a permis d’aborder l’invisibilisation des femmes dans l’histoire des sciences à travers des ateliers ludiques et interactifs impliquant 78 élèves et 31 scientifiques.
La médiation scientifique par le livre en mixité et non-mixité : le retour de Délires d’Encre
Olivia Calippe, coordinatrice projets & médiation scientifique de l’association Délires d’Encre, a présenté les actions menées autour de la médiation scientifique par le livre, notamment lors des festivals Scientilivre et Terres d’ailleurs. Escape games, ateliers thématiques et interventions en milieu scolaire sont autant de dispositifs qui permettent d’aborder l’égalité filles-garçons, de déconstruire les stéréotypes et de favoriser l’émerveillement scientifique chez tous les publics. L’association veille à adapter ses pratiques en fonction des publics, à réagir face à des propos sexistes, et à créer des groupes de travail propices à l’expression de chacun et chacune.
Conclusion
La question de la non-mixité dans la médiation scientifique et l’éducation ne peut être tranchée de façon binaire. Les expériences partagées lors de cet événement montrent que la non-mixité, si elle est pensée et encadrée, peut être un outil ponctuel pour favoriser l’expression et l’émancipation, notamment des filles. Mais elle ne saurait constituer une solution miracle : seule une réflexion continue sur les pratiques, les espaces et les discours permettra de faire progresser l’égalité et de déconstruire les stéréotypes de genre dans l’éducation et la médiation scientifique.
Ces échanges ont eu lieu à l’occasion des webinaires du Panier du médiateur organisés par Lecture Jeunesse.
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Références
- 1Morin-Messabel, Christine. « Contexte scolaire et mixité – Pistes de réflexion en psychologie sociale ». Diversité, n°138 (2004) : 73-78. https://www.persee.fr/doc/diver_1769-8502_2004_num_138_1_2306
- 2Bréau A, Lentillon-Kaestner V, Hauw D. “Le retour de la non-mixité à l’école. État des recherches, maintien des tabous et « doing gender »”. Revue Française de Pédagogie, n°194 (mars 2016) : 109 38. https://journals.openedition.org/rfp/4983#tocto2n3
- 3Pezeu, Geneviève. « Des filles chez les garçons, l’apprentissage de la mixité ». Vendémiaire, 2020. https://hal.science/hal-03896768/
- 4Paris-Romaskevich, Olga. « Vers une médiation en phase avec la société : réflexion autour des Cigales ». Gazette de la Société Mathématique de France, n°174 (octobre 2022) : 69-74. https://smf.emath.fr/system/files/filepdf/G174-BD.pdf#page=71
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