Le 3 décembre 2024, nous organisions un webinaire Le Panier du médiateur, cette fois centré sur un sujet qui suscite curiosité, débats et parfois inquiétudes : la Dark Romance. Ces textes, souvent perçus comme « dérangeants », suscitent autant de fascination que d’interrogations, notamment chez les jeunes lecteurs et lectrices comme chez les médiateurs et médiatrices.

Comment expliquer l’engouement croissant pour ces récits qui mêlent amour, relations toxiques et souffrance émotionnelle ? Comment aborder la dark romance en tant que médiateur culturel sans tomber dans la censure ? Quels outils et réflexions partager avec les adolescents pour les accompagner dans une lecture critique de ces récits ?

Deux intervenantes ont apporté leur éclairage sur ce genre littéraire aussi populaire que controversé : Magali Bigey, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Franche-Comté, et Axelle Galvan, responsable de la librairie spécialisée Le Comptoir du Rêve à Toulouse.

Un genre littéraire en pleine lumière

Magali Bigey a ouvert la discussion en retraçant l’évolution du roman sentimental, depuis les « Harlequin » jusqu’à l’émergence de la Dark Romance. Elle a rappelé que ce genre, longtemps stigmatisé en raison de son caractère « paralittéraire » et de son lectorat essentiellement féminin, connaît aujourd’hui un renouveau. Si le « happy end » était autrefois la norme, les récits modernes plongent davantage dans les zones d’ombre de la romance : conflits psychologiques, relations interdites, violences symboliques ou physiques.

L’analyse de Magali Bigey repose sur une approche sociologique du lectorat. Elle identifie une majorité de jeunes femmes âgées de 15 à 25 ans, en quête de fortes émotions, d’évasion et parfois d’identification aux personnages, aussi torturés soient-ils. Loin d’être passives, ces lectrices sont décrites comme lucides, capables de distinguer fiction et réalité, et dotées d’un regard critique sur ce qu’elles lisent.

La chercheuse insiste également sur le rôle central des réseaux sociaux, en particulier TikTok et son sous-ensemble BookTok, dans la popularisation du genre. En 2023, les hashtags liés à ces contenus totalisaient plus de 180 milliards de vues. Ce phénomène viral, amplifié par des biais cognitifs comme l’effet de récence ou le biais de confirmation, influence largement les choix de lecture.

Définir pour mieux comprendre : Dark Romance, New Romance, Romantasy

Axelle Galvan, en tant que libraire spécialisée, a proposé des repères clairs pour mieux comprendre les sous-genres de la romance contemporaine :

• New Romance : histoires d’amour contemporaines sans relations toxiques, souvent axées sur des problématiques actuelles (identité, famille, sexualité…).
• Dark Romance : romance où les violences physiques et/ou psychologiques sont au cœur de la relation, avec une dynamique toxique assumée.
• Romantasy : romans mêlant romance et fantasy, où la relation amoureuse occupe entre 50 et 80 % du récit.

La distinction principale entre New Romance et Dark Romance ? La question du consentement. Dans la Dark Romance, celui-ci peut être flou, ambivalent ou transgressé, ce qui demande une lecture avertie et critique.

Accueillir sans juger : le rôle des médiateurs

Les deux intervenantes ont rappelé que la mission des médiateurs du livre n’est pas de censurer, mais d’accompagner. Plusieurs recommandations concrètes ont été formulées :

• Lire les ouvrages avant de les juger
• S’appuyer sur l’expertise de professionnels, notamment des libraires spécialisés
• Créer des espaces de parole où les jeunes peuvent discuter de leurs lectures
• Faire confiance à l’esprit critique des lectrices
• Se former aux codes et sous-genres de la romance pour mieux orienter
• Consulter les ressources issues de BookTok pour suivre les tendances

Des préoccupations légitimes ont aussi été abordées : à quel âge peut-on lire de la Dark Romance ? Faut-il des trigger warnings ? Comment réagir au manque de diversité dans les représentations ? Les intervenantes ont plaidé pour une approche fondée sur le dialogue, la nuance et la connaissance du genre.

En conclusion

La Dark Romance, loin d’être une simple tendance passagère, soulève des questions profondes sur les représentations, les émotions et les limites de la fiction. Ce webinaire a permis de dépasser les jugements hâtifs pour mieux comprendre un genre qui résonne fortement auprès de la jeunesse, en particulier féminine.

Médiateurs, enseignants, parents, bibliothécaires : face à ces lectures qui bousculent, il ne s’agit pas d’interdire, mais d’accompagner, d’écouter et de discuter. Car c’est dans la connaissance et la confiance que se construit une relation sereine aux livres… même les plus sombres.

Ressources conseillées :

• Librairies spécialisées (comme Le Comptoir du Rêve)
• Comptes BookTok influents (à suivre pour comprendre les tendances)
• Bibliographies thématiques proposées notamment par Lecture Jeunesse dans le N°194 de Lecture Jeune
• Webinaires et contenus pédagogiques de Lecture Jeunesse : abonnez-vous à la newsletter
• Formations : catalogue en octobre 2025 et possible sur site

A propos des webinaires « Panier du médiateur » de Lecture Jeunesse :

Le « Panier du médiateur » est le rendez-vous incontournable expérimenté par l’association Lecture Jeunesse depuis 2021. Ce format en ligne gratuit propose aux médiateurs des clés de compréhension, des exemples de médiations et des pistes de réflexions sur les pratiques culturelles des adolescents. Il toujours réservé aux questions et aux interrogations des professionnels participant afin de favoriser leurs échanges avec les intervenants, qu’ils soient chercheurs ou professionnels de la médiation.

Durant ce webinaire exceptionnel, nous étions presque 700 en ligne, un record pour l’association !