Renverser les inégalités n°173, mars 2020

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Sommaire
« Renverser les inégalités »

Les actes du colloque de l’Observatoire de la lecture des adolescents du 4 février 2020

LECTURE JEUNE 173 | MARS 2020

Edito par Sonia de Leusse-Le Guillou, directrice de la rédaction

Quelles inégalités vise-t-on à renverser dans ce numéro et quels écarts à pointer ?

Notable, le premier écart est celui qui peut exister entre « l’adolescent », qui est devenu une norme de représentation, et la réalité diverse des situations des jeunes : il n’y a pas « un » adolescent, mais des adolescents. Le lissage, la dénomination commune en une catégorie uniforme qui composerait une entité unique, « l’adolescent » doit céder la place au pluriel, « des adolescents ». Car c’est ainsi seulement qu’apparaissent les différences, les marges, et donc, la réalité des situations multiples, incarnées.

On s’incarne sur un territoire, dans cadre familial et social, avec une pluralité de pratiques culturelles et numériques. Or, la représentation répandue de « l’adolescent » est celle d’un garçon, urbain. Quid des autres ? Ceux qui semblent absents ou peu visibles dans les médias, les politiques publiques, la publicité ou l’économie ? C’est à ceux-là que nous souhaitions nous intéresser lors du colloque dont les propos sont repris dans ce dossier. Avec un tour d’horizon des jeunes ruraux, nous ouvrons donc le numéro en faisant entendre des voix qu’on méconnaît souvent, des pratiques amateurs et des compétences cachées, en particulier celles de jeunes femmes vivant à la campagne.

Renversement de situation : si le collège rural ne peut pas venir à la rédaction du Monde des Ados, c’est elle qui ira sur place. Révolution copernicienne dans la mise en place de projets de terrain : et si on partait du rejet des apprentis face à la lecture et à l’écriture pour repenser une médiation culturelle qui concorde avec leurs besoins ? Sortir des moyennes pour voir ceux qui s’en écartent, bouleverser des inégalités à travers des actions concrètes – comme celles de l’AFEV (Association de la Fondation Étudiante pour la Ville) ou des animateurs de Carcassonne en centre-ville, pourtant Quartier prioritaire de la Ville –, telle est la vocation de ce dossier.

Interrogeons-nous : sur quels critères peut-on parler d’écarts de pratiques, réels ou fantasmatiques, entre les jeunes ? Le territoire – rural, urbain, rurbain –, détermine-t-il des usages ? Son incidence porte-t-elle seulement sur ce que l’on fait ou sur ce que l’on devient ? Quels autres facteurs ont un impact sur les pratiques des jeunes : quelle incidence les inégalités sociales ont-elles ? Quels écarts, ou similitudes malgré des contextes différents, observe-t-on ?

Et surtout, comment utiliser ces données dans la conception de médiations en direction des jeunes ?

Ouverture. Travailler ensemble pour une action efficace Par Éric Nédélec, directeur adjoint de l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme

Pour combler les écarts entre les jeunes, d’autres écarts sont d’abord à réduire : ceux qui existent encore, trop souvent, entre les adultes qui accompagnent les adolescents. Éric Nédélec invite ainsi les acteurs de la culture, du livre, de l’éducation, à faire tomber les barrières qui pourraient les diviser, dans le souci d’offrir à tous les jeunes un accès équitable à la culture.

Jeunes des campagnes : enquête au-delà des clichés Entretien avec Benoît Coquard, sociologue

Fantasmés en lien avec la « vraie vie » et avec la nature, mais aussi vus comme fermés, racistes et pauvres, qui sont vraiment les jeunes des milieux ruraux ? Pour dépasser les clichés véhiculés par les classes urbaines dominantes, le sociologue Benoît Coquard a décidé de leur donner la parole. S’ils rejettent en bloc la vie urbaine pour lui préférer les relations amicales de leur village, ils ne forment pas pour autant une jeunesse uniforme et solidaire. Benoît Coquard dresse ici le portrait de jeunes adultes dont le quotidien varie grandement selon leur lieu de vie, leur classe sociale et leur genre.

Devenir femme dans un monde d’hommes Entretien avec Yaëlle Amsellem-Mainguy

Qui sont « les filles du coin », ces jeunes femmes de milieux populaires qui vivent loin des villes ? 15 ans après la publication de l’enquête Les Gars du coin, Yaëlle Amsellem-Mainguy s’intéresse à celles qui se trouvent dans l’ombre des urbains et des hommes. Derrière les portes de leurs maisons, la sociologue a découvert un entre-soi féminin où foisonnent compétences cachées et esprit d’entreprise. Même si les jeunes femmes elles-mêmes, bien souvent, n’en ont pas conscience.

Focus : Parler à tous les ados depuis une rédaction parisienne Témoignage de Marion Gillot, rédactrice en chef du Monde des ados

Environ un tiers des jeunes Français vit en milieu rural. Comment s’adresser à cette partie du lectorat en tant que rédactrice en chef d’un magazine parisien comme Le Monde des ados ? Sans connaître de près le quotidien de ce public, difficile de le représenter sans clichés. Pour pallier cet écart, toute la rédaction du Monde des ados s’est déplacée dans un village des Deux-Sèvres.

« Écrire, à quoi ça me sert ? » Article de Marine Doinel, chargée de mission numook pour Lecture Jeunesse, et Agathe Kalfala, coordinatrice des formations de Lecture Jeunesse

Depuis 2012, le projet numook de Lecture Jeunesse permet à des adolescents de tous horizons d’écrire collectivement un livre numérique. Or Marine Doinel, chargée de mission pour numook, fait face à de fortes réticences lorsqu’elle présente le projet à des apprentis, notamment dans les filières agricoles. Comment s’intéresser à la lecture et à l’écriture, quand celle-ci semblent inutiles à un projet professionnel bien défini ? Cependant, les freins ne viennent pas que des jeunes. Agathe Kalfala, coordinatrice des formations de Lecture Jeunesse, constate en effet que le regard des adultes sur ces adolescents peut faire obstacle à leur approche de la lecture. Fortes de ces expériences de terrain, Marine Doinel et Agathe Kalfala proposent des manières concrètes de mobiliser des jeunes pour qui lire et écrire « ne sert à rien ».

Focus : La France, pays d’inégalités scolaires Données PISA présentées par Corinne Heckmann, analyste, et Manon Costinot, statisticienne, OCDE

Tous les 3 ans, des milliers d’adolescents passent le questionnaire PISA dans 79 pays de l’OCDE et du monde. À partir de ce Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves, l’OCDE délivre des recommandations quant aux politiques publiques d’éducation. Sont notamment évalués la compréhension de l’écrit et la performance en sciences. Dans ces deux domaines, les jeunes Français sont légèrement au-dessus de la moyenne. En revanche, la France fait partie des pays les moins équitables : le milieu social des adolescents, notamment, a une forte incidence sur leurs compétences scolaires.

Ados des quartiers prioritaires : « la soif de savoirs passe toujours par l’affect » Table ronde avec Chantal Dahan, Emanuelle Guittet et Clémence Perronnet, sociologues

En bas des immeubles, faute de lieux de rencontre, les adolescents des quartiers dits « QPV » (Quartiers Prioritaires de la politique de la Ville) s’ennuient et laissent passer le temps. Pourtant, certains ne vivent pas loin de grandes villes, de musées, de théâtres. Alors pourquoi n’en profitent-ils pas ? Une équipe de sociologues de l’INJEP (Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire) s’est intéressée à ces jeunes, pour comprendre ce qui se cache derrière leur dégoût affiché de l’école et de la lecture. Il s’avère que l’aspect relationnel est un levier crucial pour ces adolescents. Ce n’est qu’au travers de liens de confiance, voire d’affection, qu’il devient possible de les ouvrir à de nouveaux horizons culturels.

Focus : AFEV, des jeunes engagés contre les inégalités Témoignage de Mathilde Espil, chargée de mission pour l’AFEV

En invitant chaque année les jeunes de 16 à 25 ans à s’engager auprès d’élèves en difficulté, l’AFEV (Association de la Fondation Étudiante pour la Ville‎) touche un double public. Les enfants accompagnés, bien sûr, mais aussi les jeunes bénévoles, qui se rencontrent et se forment ensemble, quels que soient leur milieu d’origine, leur niveau de diplôme ou leurs compétences.

Focus : Lire en centre de loisirs pour réduire les écarts Témoignage de Julie Genoudet, animatrice Francas

Derrière les tours médiévales et les ruelles pavées de Carcassonne se cache une autre réalité. Bien que très touristique, le centre-ville est classé comme quartier prioritaire de la politique de la ville. Dans ce lieu historique vivent en effet des adolescents issus de milieux très variés. S’apercevant que certains d’entre eux avaient du mal à lire, les animateurs du centre de loisirs Cit’Ados ont lancé un projet autour de la lecture de magazines, en partenariat avec la médiathèque voisine.

Face aux écarts entre adolescents, ajuster les pratiques de médiation Synthèse du dossier par Christine Mongenot, maîtresse de conférences en littérature française

Filles ou garçons, aisés ou défavorisés, citadins ou ruraux n’ont pas le même accès à la culture ni les mêmes aspirations. Toutefois, les enquêtes montrent que ces catégories ne sont pas figées. Au sein des populations rurales, par exemple, se jouent des écarts souvent invisibles aux observateurs extérieurs. Face à une telle complexité, comment en tant qu’acteurs de terrain s’emparer de ces questions et s’en servir pour mieux accompagner les jeunes ? Christine Mongenot résume et relie ici les grandes problématiques du dossier pour en tirer des pistes de réflexion et d’action.

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Format

Numérique, Papier