Posté le

Folio+Collège : rendre les classiques accessibles aux préadolescents

Éditrice pour Gallimard depuis 1997, Véronique Jacob a fondé le département Éducation de la maison en lançant La Bibliothèque Gallimard en 1998. Si le format et le contenu des ouvrages ont évolué au cours de ces vingt années, l’envie de transmettre le plaisir de lire aux élèves reste intacte. C’est dans cet esprit qu’est créée en 2016 Folio+Collège, une collection qui ambitionne de rendre les œuvres du patrimoine français attirantes pour les collégiens d’aujourd’hui, grâce à des innovations dans la présentation et dans l’explication des textes.

Christelle Gombert : La communication de la collection s’adresse directement aux élèves, tout en mettant en avant le contenu pour les enseignants et le prix accessible pour les parents. Finalement, à qui est destinée la collection Folio+Collège ?

Véronique Jacob : : À tous ces publics à la fois ! Nous ciblons les enseignants, qui sont très prescripteurs au collège puisqu’ils conseillent souvent à leur classe une collection en particulier lorsqu’ils demandent d’acheter l’œuvre étudiée. D’autres professeurs, à l’inverse, encouragent les élèves à utiliser le livre qu’ils ont déjà à la maison, ou à acquérir l’ouvrage dans la collection qui leur convient. Nous devons alors nous adresser aux parents qui vont choisir pour leurs enfants. Dans ce choix entrent en compte de nombreux facteurs, dont les réminiscences des collections utilisées par les parents lors de leur propre scolarité et, bien sûr, les goûts de l’enfant. Éditorialement, nous sommes donc soumis à deux autorités : celle des élèves d’un côté, et celle des adultes et des professeurs de l’autre.

CG : Quels ressorts utilisez-vous pour attirer les élèves malgré une concurrence très forte ?

VJ : : Ayant été moi-même enseignante pendant sept ans, je considère que l’éditeur doit être aux côtés des professeurs et poursuivre le même but qu’eux : faire lire les élèves et leur transmettre le plaisir de lire. Cela commence par un parti pris fort de couverture, qui donne envie d’ouvrir le livre. Quand on compare Folio+Collège à la concurrence, les visuels de couverture se distinguent clairement.

Dès l’abord, la plupart des autres ouvrages me semblent austères et très scolaires. À l’intérieur, le texte est saturé de notes de bas de page qui laissent présager un vocabulaire difficile d’accès. Avec Folio+Collège, j’essaie de rapprocher le plus possible ces livres de la littérature jeunesse, et ce dès la couverture. L’esthétique du livre me paraît importante.

L’éditeur doit être aux côtés des professeurs et poursuivre le même but qu’eux : faire lire les élèves et leur transmettre le plaisir de lire

Pour la présentation des pages intérieures de Folio+Collège, je me sers des codes des collégiens –c’est-à-dire des codes qui viennent d’internet. On entend dire que les jeunes ne lisent plus, pourtant ils lisent toute la journée sur leurs écrans. Tenant compte de cela, nous avons créé des pages infographiées très visuelles, qui permettent aux élèves de mémoriser plus facilement et de comprendre le texte différemment. Les enseignants qui avaient testé le numéro 0 ont été déconcertés par ces pages, car elles proposent peu de contenu écrit. Le principe est justement de demander aux élèves ce qu’ils comprennent de l’infographie, afin que leur interprétation du schéma leur permette d’entrer aisément dans le texte. En revanche, les enfants qui l’ont testé n’ont eu aucun mal à expliciter le choix des pictogrammes qui leur semblait l’évidence même.
Nous avons aussi mis en place des balises visuelles tout au long de chaque ouvrage, avec des pictogrammes qui posent une structure identique d’un titre à l’autre pour faciliter le repérage. Pour moi, la collection aura atteint son but si l’élève ne se rend pas compte qu’il est contraint, mais qu’il lit un texte du patrimoine comme il lirait un texte de littérature jeunesse.

Nous avons créé des pages infographiées très visuelles, qui permettent aux élèves de mémoriser plus facilement et de comprendre le texte différemment

CG : Vous êtes-vous inspirée d’autres contenus que ceux d’internet pour créer l’identité visuelle et les infographies de la collection ?

VJ :Étant moi-même plutôt de la génération papier, j’ai beaucoup regardé la presse destinée aux jeunes, comme Mon Quotidien ou certains magazines du groupe Bayard, qui s’adressent de manière très segmentée à chaque tranche d’âge. Dans tous ces titres, des infographies accompagnent le texte.

Même en tant qu’adultes, nous apprécions les contenus visuels tout autant que les jeunes. L’Obs, notamment, publie chaque semaine une infographie que je consulte toujours. L’effort intellectuel demandé par une infographie est différent de celui d’une lecture au long cours, mais il permet d’éveiller la curiosité, ce qui est un des objectifs de Folio+Collège.
En tant que bons lecteurs adultes, nous croyons nous rappeler que Le Cid nous a fait bondir de joie lorsque nous étions en 4e. Au contraire, cela ne m’avait pas spécialement attirée alors que je faisais partie des gros lecteurs de la classe. Il ne faut pas avoir de dédain vis-à-vis de ces jeunes ; a priori, lire Le Cid n’est pas très amusant, comme beaucoup de textes du socle fondamental de la littérature. Cela peut le devenir, à condition d’entrer dans la langue de Corneille, de comprendre son intention.

Dans les milieux aisés, les élèves qui n’abordent pas Le Cid en classe pourront retrouver le texte à un autre moment de leur parcours. Mais dans les milieux moins favorisés culturellement et économiquement, si l’école n’apporte pas aux enfants ces textes patrimoniaux, il est probable qu’ils ne les liront jamais. Notre mission éditoriale est donc aussi politique : elle consiste à convaincre tous les élèves des bienfaits de la littérature, aussi idéaliste que cela puisse paraître.

CG : Quelles innovations de contenu accompagnent cette présentation très visuelle ?

VJ :Depuis mes débuts chez Gallimard, j’ai toujours répondu à la lettre aux programmes scolaires. Cependant, ces réponses peuvent être données sous des formes différentes. La collection Folioplus classiques propose de longues dissertations sur des thématiques du programme, ce qui exige plus d’attention et de travail en amont de la part des enseignants. Folio+Collège est faite pour stimuler une bonne communication en classe, avec un dossier pédagogique très fragmenté qui permet aux professeurs d’en tirer ce qui les intéresse et de « faire leur cuisine », selon leur propre expression. Les deux collections s’adressent donc au même public, mais pas aux mêmes pratiques. Folio+Collège est très interrogative, tandis que Folioplus classiques apporte un contenu explicatif qui laisse le professeur poser ses propres questions. Nous sommes donc dans un autre type de rapport pédagogique, davantage dans l’air du temps. Il me semble aujourd’hui plus intéressant de fournir aux enseignants une banque de données d’interrogations et de les laisser choisir telle ou telle question selon leur façon de construire leur cours, plutôt que de leur donner des contenus qui demandent de nombreuses d’heures de lecture.

Quant aux élèves, j’espère leur donner envie de prolonger l’exploration du paratexte. Par exemple, une fois que la biographie de l’auteur a été lue en classe, il peut aller regarder la frise chronologique qui place la vie de l’écrivain dans un contexte historique plus large. La biographie elle-même court sur deux pages, est toujours incarnée (en étant rédigée du point de vue d’un ami de l’auteur, par exemple) et n’exige donc pas un grand effort de lecture. Le but est de leur ouvrir l’appétit, afin qu’ils aient envie de revenir pour le dessert !

Notre mission éditoriale est aussi politique

CG : L’aspect ludique est également très présent dans les dossiers – « Jeu de lettres », « Cherchez l’intrus », « Le 20/20 »… Quelle importance le jeu revêt-il pour vous comme outil pédagogique ? Et comment les professeurs accueillent-ils cette approche ?

VJ :Tout l’art de la communication pédagogique consiste à dire des choses très sérieuses par des formules légères, simples et compréhensibles. Le côté ludique est essentiel, surtout pour les collégiens. Cette pédagogie du détour donne aux élèves l’impression de jouer alors qu’ils apprennent des choses. C’est ce que j’ai cherché à faire quand j’étais enseignante et c’est encore mon ambition en tant qu’éditrice.

Les professeurs savent que cela happe la classe et fonctionne très bien. Il s’agit de la seule concession démagogique que je fais dans les ouvrages, car je crois que l’on peut jouer intelligemment. Le « Cherchez l’intrus », par exemple, est un QCM redoutable : d’habitude, une seule réponse est correcte parmi les trois proposées. Ici, une seule est fausse. L’élève apprend donc deux fois plus de choses.

Tout l’art de la communication pédagogique consiste à dire des choses très sérieuses par des formules légères, simples et compréhensibles

CG : Pourtant, à côté des jeux, de nombreux exercices intitulés comme tels apparaissent et s’éloignent de l’amusement recherché par ailleurs.

VJ :Le plus difficile dans un livre parascolaire consiste à trouver la bonne interrogation, parce qu’en créant la question, il faut savoir où on veut emmener celui qui va y répondre. La bonne question est piégée, sinon elle n’a rien d’intéressant et s’avère insipide, même pour l’élève. Les interrogations que nous proposons ne prennent pas les élèves de haut. Elles sont réparties tout au long des explications, dans une alternance équilibrée entre savoirs à acquérir et questions à résoudre. Ainsi, on peut vérifier que l’on a assimilé ce qui vient d’être lu et le mettre en application immédiatement, sans difficulté. Cela vaut aussi bien pour les faibles lecteurs que pour les plus forts, parce qu’ils veulent être confortés dans l’idée qu’ils ont bien compris.

Je pense que le livre reste un objet sacré, y compris pour la jeune génération

CG : Vous avez décidé de ne pas augmenter les ouvrages par des contenus numériques, malgré une démarche innovante assumée. Pourquoi avoir fait ce choix ?

VJ : Je pense que le livre reste un objet sacré, y compris pour la jeune génération. J’en veux pour preuve la collection Folio+Vidéo que j’ai lancée il y a trois ans. Ces classiques lisibles sur tablettes sont accompagnés d’une cinquantaine de capsules vidéo chacun, jouées par des comédiens célèbres. Ces interventions pédagogiques interviennent au fil de la lecture pour expliquer le texte.

Nous avons commencé avec Candide. Au format papier, ce titre se vend à environ 20 000 exemplaires de par an. Avec Folio+Vidéo, nous en avons vendu 80. Par la suite, chaque fois que j’ai eu des collégiens en stage chez Gallimard, je leur ai mis le livre numérique entre les mains ; cela ne leur plaisait pas vraiment. Ce qu’ils voulaient, c’était des livres – et il ne s’agissait pas nécessairement de très bons élèves. Je suis convaincue que les pratiques numériques des jeunes n’excluent pas les autres pratiques culturelles, mais qu’elles coexistent sans forcément fusionner. Lire sur écran, pour les adolescents, c’est lire un article, aller sur Wikipédia, consulter un blog, s’abonner à des chaînes YouTube. Lire, c’est tout autre chose : c’est avoir Harry Potter entre les mains et prendre le temps de tourner chaque page. Ce sont deux usages différents, et chaque support correspond à un type de lecture bien distinct.

De plus, comme le disait Alain Gründ à l’époque où je travaillais avec lui au SNE 1Syndicat National de l’Édition. Alain Gründ a été président du SNE de 1985 à 1991. , «  un livre ne tombe jamais en panne ». Les enseignants n’ont pas toujours le matériel adéquat, perdent vingt minutes de leur cours à essayer d’allumer un vidéoprojecteur, puis de nouveau un temps considérable pour que l’ouvrage contenant près de cinquante vidéos se charge. Avec un simple livre, en revanche, vous avez le texte intégral et son commentaire pour 2,90 €, sans aucun problème technique…

Entretien avec Véronique Jacob, responsable du département Éducation de Gallimard

Propos recueillis et mis en forme par Christelle Gombert

Véronique Jacob

Professeur de français, journaliste à L’Événement du jeudi puis à L’Express, Véronique Jacob est arrivée en 1997 aux éditions Gallimard pour développer un secteur éducatif après s’être occupée du groupe des éditeurs scolaires au Syndicat National de l’Édition. Depuis, elle a créé plusieurs collections de lectures en classe (« La bibliothèque Gallimard », « Folioplus classiques », « Folioplus philosophie », et tout dernièrement « Folio+Collège »), les grands jeux de plateaux Gallimard (« C’est dans quoi déjà? », « Tu m’en diras tant! », « C’est bon à savoir ! » et « Oui, le grand jeu de l’amour et du hasard ») ainsi qu’une collection dédiée à la langue française, aux mots et aux citations, « Folio entre guillemets ».

Références

  • 1
    Syndicat National de l’Édition. Alain Gründ a été président du SNE de 1985 à 1991.