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Lectorat préadolescent : quels livres pour quel public ?

Si la tranche d’âge des 8-12 ans fait consensus parmi les éditeurs pour définir la préadolescence, chaque maison approche ce public à sa façon pour en cerner les caractéristiques et les besoins : retours de lecteurs, expérience du terrain, études de marché, analyses sociologiques… Leurs observations sur ces jeunes, au sortir de l’enfance et au seuil de l’adolescence, ont fait naître une production très spécifique pour la tranche haute des 10-12 ans. De nouvelles collections se positionnent donc sur ce marché, recomposant le secteur et poussant les maisons historiques à se renouveler.

« La valeur suprême, c’était le cool ». « Faut pas ressembler aux ados, faut pas avoir envie de grandir, faut pas avoir envie de ressembler aux adultes, faut pas être un gamin. Faut être cool. Comme une sorte de manière de vivre, d’être un peu autonome sans forcément se battre avec ses parents. Il faut prendre la vie comme elle vient (…)1Christophe Tranchant. ».

13 ans et +, 14 ans et +, 15 ans et +, 13-18 ans, 15-25 ans… La porosité des frontières entre les titres pour les adolescents et ceux pour les jeunes adultes n’avait échappé à personne. La plupart des éditeurs se garde bien de donner des bornes d’âge trop précises, qui diffèrent d’une maison à une autre – et d’un corps de métier à un autre. Face à ce repérage déjà périlleux, le terme de « préadolescent » ajoute une difficulté puisqu’il induit l’existence éventuelle d’une autre période, tout en dispensant de trop la déterminer. Or, contrairement aux fictions ado ou young adult volontiers estampillées comme telles, les romans qui s’adressent à leurs cadets ne font pas référence à la « préadolescence », ni aux « adonaissants ». Tibo Bérard, éditeur chez Sarbacane, se méfie des notions comme celles de « préadolescents », qui sont des « constructions sociales, (…) des concepts qu’on plaque sur le réel ». Personne n’utilise ces barbarismes chez Flammarion Jeunesse. Au Rouergue, l’éditeur Olivier Pillé parle de « jeunes lecteurs ». La dénomination varie mais la tranche d’âge citée spontanément est, elle, presque unanimement la même, celle des 8-12 ans.

Contrairement aux fictions ado ou young adult, volontiers estamplillées comme telles, les romans qui s’adressent à leurs cadets ne font pas référence à la « préadolescence », ni aux « adonaissants ».

Quels 8-12 ans ?

Quand on leur demande comment ils connaissent leur lectorat, certains des éditeurs restent vagues : l’édition « coup de cœur » se positionne sur une politique d’offre que la réception risquerait d’entacher. D’autres préfèrent ne pas mentionner les analyses de marché éventuelles qui leur permettent de mieux composer leur offre, et focaliser leur discours sur les besoins et les attentes des jeunes qui leur sont apparues. A l’inverse, les éditeurs de Milan ont travaillé sur ce public pendant 4 à 5 mois, lisant études sociologiques, psychologiques et de consommation. Christophe Tranchant, le directeur éditorial, peut ainsi définir comme « les tweens, qui malheureusement, est avant tout un terme marketing (…), la contraction de teenager et de between, (…) ces enfants entre 10 et 13 ans ». Loin d’être des avatars de leurs aînés à qui ils voudraient ressembler, ils forment, pour lui, « une nouvelle catégorie autonome qui semble avoir émergé depuis une dizaine/quinzaine d’années ». En effet, les tweens « ont conscience qu’ils sont une part de population à part entière, qu’ils ont des modes de consommation (…), pas les mêmes besoins que quelqu’un qui a 14/15 ans. Ce sont des enfants (…) autonomes, qui veulent un smartphone, qui veulent pouvoir choisir leur bouquin, (…) leur musique et qui regardent aussi les adolescents avec un peu plus de recul et moins d’étoiles dans les yeux ». Flammarion Jeunesse s’appuie également sur une étude commandée dans les années 2010 pour mieux comprendre la place de la lecture entre la fin de l’école et le début du collège. Lorsque le groupe publie également des titres de presse, Bayard Jeunesse par exemple, les éditeurs disposent d’un « formidable matériel 2K. Sol. » pour cerner leur public. Ils participent chaque mois aux comités de lecture, sont en lien réguliers avec leurs collaborateurs, voire peuvent être au contact direct des lecteurs dont ils ont des retours à travers les blogs, les concours, et les réseaux sociaux des magazines. D’autres éditeurs, enfin, se réfèrent à leur ressenti : ils fréquentent de façon informelle des lecteurs à travers des visites de classes, des informations glanées dans l’entourage ou, plus marginal, le suivi de comités de lecture adolescents et préadolescents répartis en France, comme c’est le cas pour Gulf Stream. Ainsi, Caroline Merceron, l’assistante d’édition de Paola Grieco gère-t-elle un groupe d’une douzaine de jeunes lecteurs, moins nombreux que les adolescents, certes, mais répartis également entre filles et garçons, tandis qu’il n’y a que des lectrices par la suite.

De l’âge à la représentation

S’il y a plutôt un consensus sur la tranche concernée, et que l’âge est l’élément visible sur les sites internet et/ou certaines couvertures de livres, c’est en fait la situation scolaire des lecteurs qui s’avère être le critère commun aux éditeurs. Le premier sous-segment des 8-10 ans correspond à la fin de l’école primaire, tandis que le suivant vise les collégiens.

C’est en fait la situation scolaire des lecteurs qui s’avère être le critère commun aux éditeurs.

C’est clair pour Karine Van Wormhoudt 3Litt’, Albin Michel. , l’éditrice de Litt’, « le préado, c’est celui qui rentre au collège, 11 ans et plus ». On l’aura compris, la tranche est donc globalement celle que « les Américains appellent le upper middle grade les 8-10-11-12, 13 au maximum (…) une tranche qui est avant les teenagers », pour reprendre les propos de Maylis de Lajugie, en charge de Wiz chez Albin Michel Jeunesse.

Elle n’est pas homogène mais recouvre une diversité de situations physiologiques, psychologiques, scolaires, et des compétences de lecture variables. « Le modèle « classique » – l’enfance (innocente et joueuse) suivie de l’adolescence (nécessairement en crise) – n’est plus véritablement opérant, si tant est qu’il le fût jamais. Un nouvel élément complique, réoriente et enrichit le jeu intergénérationnel : l’apparition de l’adonaissance (…)4Les Adonaissants, Armand Colin, 2006, p. 11. » explique François de Singly en ouverture de son livre. S’ils n’utilisent pas son néologisme, néanmoins, les éditeurs s’accordent bien sur la spécificité d’un public cible, au sortir de l’enfance mais pas encore dans les troubles ou la quête de soi, qu’ils voient dans l’adolescence. Tous citent la tranche haute des 10-12 ans, avec l’entrée au collège, comme celle qui se distingue de l’enfance et justifie des formats ou des collections spécifiques.

« Le modèle « classique » – l’enfance (innocente et joueuse)suivie de l’adolescence (nécessairement en crise) – n’est plus véritablement opérant, si tant est qu’il le fût jamais.

La reconfiguration du secteur

Des collections, comme Pépix noir, « un projet de circonstance (…) un peu plus cadré (…) vraiment fait pour répondre à une demande de lecture précise et assez courte dans le temps 5Tibo Bérard, entretien, janvier 2017. », R Jeunesse, Flash fiction pour Rageot, des marques avec Slalom, Poulpe fictions, ou des labels comme Grafiteen, arrivent en nombre aux côtés de collections plus anciennes, Souris noire de Syros, les bibliothèques roses et vertes, par exemple, ou ayant marqué un renouveau mais implantées plus récemment dans le paysage des librairies comme Witty chez Albin Michel jeunesse, la collection Pépix, qui s’est inspirée de sa ligne pour la décliner avec des auteurs français, Castelmore, En voiture Simone !, tandis que d’autres, plus historiques, comme Neuf de l’Ecole des loisirs ou les collections Estampillette, Estampille et Millezime connaissent des réorganisations internes ou repensent leur stratégie : Bayard abandonne en effet sa logique de collections. Si, comme son nom l’indique, Slalom a souhaité pouvoir aller d’un genre à l’autre au gré des publications, certains éditeurs ont distendu leur ligne à tel point que la nouvelle Dacodac du Rouergue réunit depuis 2015 « Zig-Zag », « Tic-Tac » et « Dacodac », pour toucher les 6-11 ans, « une tranche d’âge dans laquelle » explique Olivier Pillé, « on veut pouvoir faire de tout sans contrainte ». Certains éditeurs, craignant le cadre restrictif d’une collection, préfèrent au contraire ne pas s’en imposer et attribuer un format à un titre ou à une série (Flammarion, Gulf Stream). Les poches, très présents sur ce segment, cèdent la place aux moyens et grands formats. La concurrence se fait plus rude. « On essaie de mener la course en tête parce que c’était notre segment de prédilection », rappelle Murielle Couëslan. La question se pose de voir comment certaines collections toutes récentes vont parvenir à s’installer et les autres, historiques ou pionnières de ces dernières années, continuer à s’imposer sur les tables des librairies.

Propos recueillis et mis en forme par Sonia de Leusse le Guillou, Directrice de Lecture Jeunesse et de la rédaction de Lecture Jeune

Sonia de Leusse-Le Guillou

Directrice de Lecture Jeunesse et de la rédaction de Lecture Jeune

Références

  • 1
    Christophe Tranchant.
  • 2
    K. Sol.
  • 3
    Litt’, Albin Michel.
  • 4
    Les Adonaissants, Armand Colin, 2006, p. 11.
  • 5
    Tibo Bérard, entretien, janvier 2017.