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Les licences pour préadolescents : de l’écran au papier

Le succès des séries télévisées pour préadolescents donne lieu à une offre éditoriale pléthorique, qui repose sur ces licences très marketées. Après Violetta, c’est Chica Vampiro qui est plébiscitée à l’international par les 6-12 ans. Si ces titres servent avant tout un but commercial, de nombreux auteurs, souvent expérimentés en littérature jeunesse, sont pourtant mis à contribution dans leur production. Julie Perrin, auteur d’un hors-série sur Chica Vampiro chez Pocket Jeunesse 1Chica Vampiro hors-série : « Les Amours De Daisy », PKJ, 2016. , décrit les rouages de l’écriture de ces livres particuliers, en tension entre création et contraintes éditoriales fortes.

Christelle Gombert : En tant qu’auteur pour jeunes adultes 2Julie Perrin publie ses romans sous un autre pseudonyme. , pourquoi vous êtes-vous lancée dans l’écriture de licences pour préadolescents ?

Julie Perrin : Prêter ma plume à des univers de licences est un bon exercice. J’écris habituellement mes romans au passé simple, j’ai choisi d’écrire Chica Vampiro au présent ; il faut aussi garder constamment à l’esprit que le lectorat a entre 8 et 10 ans, alors que mes textes s’adressent plutôt aux jeunes adultes. J’avais un peu d’appréhension au début, car je n’ai jamais écrit pour ce jeune public, mais l’expérience a été étonnamment plaisante. La trame est plus linéaire, plus simple à suivre, ce qui permet de s’amuser sur d’autres éléments que le scénario : les réflexions de l’héroïne (qu’on ne peut que deviner sur écran), les décors…

Prêter ma plume à un genre qui ne m’est pas du tout familier est un bon xercice.

CG : Quelles contraintes éditoriales vous ont été imposées dans l’élaboration de cette novellisation ?

JP : : Il ne s’agit pas tout à fait d’une novellisation. Chaque ouvrage de la collection Chica Vampiro de PKJ reprend l’intrigue de deux épisodes télévisés, tandis que le titre que j’ai écrit est un hors-série : je devais novelliser, pour la première saison, uniquement l’arc narratif autour des amours de Daisy, l’héroïne.

Mon travail a été de sélectionner les scènes qui portaient sur la romance, et de réussir à constituer un roman complet, avec une intrigue clôturée à la fin. Je pouvais utiliser autant d’épisodes que je voulais, tant que j’arrivais à créer un synopsis solide. J’ai donc choisi les douze premiers épisodes de la saison 1, puisque c’est dans l’épisode 12 que Daisy sort avec Max, et retiré bon nombre d’intrigues secondaires qui ne servaient pas le thème. En effet, j’avais un impératif qui provenait des détenteurs des droits : ne pas inventer de scènes ni de dialogues qui n’existaient pas dans la série télévisée. J’ai tout de même reformulé certaines répliques pour les harmoniser avec l’ensemble du texte.
Les autres contraintes de la maison d’édition portaient sur le format du livre, qui devait faire 200 000 signes et ne pas comporter de chapitres trop longs. L’écriture devait être dynamique, les descriptions courtes, les phrases brèves et le vocabulaire simple. L’éditrice a suggéré une narration à la première personne, afin de distinguer ce titre hors-série des autres, écrits à la troisième personne. Cependant, lorsqu’un chapitre test m’a été demandé, j’ai tout de même étudié ces tomes pour cerner la tonalité de l’ensemble de la série.

CG : Quelle marge de manœuvre vous restait-il pour apporter une part de création ?

JP :: J’ai choisi de raconter l’histoire au présent, ce qui me semblait plus adapté à un jeune lectorat et à ce genre d’histoire centré sur le quotidien d’un personnage. Si je n’avais pas le droit d’inventer de scènes, je pouvais en revanche détailler celles qui existaient déjà. Comme j’écrivais du point de vue de l’héroïne, j’ai développé ses pensées intérieures sur les autres protagonistes, explicité les raisons de ses actions… Ce travail m’a permis de donner, par petites touches, ma propre compréhension du personnage. J’ai également dû m’imprégner de l’atmosphère de chaque scène pour la retranscrire au plus près. Lorsqu’on écrit ce genre de série, on doit s’immerger dans l’univers. Si l’on prend ce travail au second degré, cela se sent immédiatement. Il est nécessaire d’adopter la posture d’un lecteur de 8-10 ans, de repérer ce qui le fait rire, ce qui lui plaît, pour savoir quels éléments mettre en avant.

L’écriture devait être dynamique, les descriptions courtes, les phrases brèves et le vocabulaire simple

CG : Quelles difficultés ces contraintes vous ont-elles posées ?

JP :Le fait de devoir suivre le déroulement des scènes sans rien y ajouter a parfois été frustrant. Certains arcs narratifs me paraissaient plus intéressants mais je ne pouvais pas les intégrer. J’aurais voulu défier certains personnages, ajouter des conflits, mais le scénario original en avait décidé autrement. Certains mots me semblaient parfaits, précis et adaptés au contexte, mais je devais constamment me demander si un lecteur de 8 ans les connaîtraient, et éliminer tout le vocabulaire qui relevait d’un registre un peu trop soutenu. Enfin, les délais étaient courts : j’avais à peine plus de deux mois pour concevoir le synopsis et rédiger le livre entier.

CG : Les auteurs de littérature jeunesse disent souvent qu’ils écrivent sans se demander si leur texte conviendra à un jeune public ou non. Que pensez-vous, en tant qu’écrivain, de cette simplification de l’écriture dans les ouvrages de licence pour les enfants et les préadolescents ?

JP : Beaucoup d’auteurs écrivent en effet leur histoire telle qu’ils l’ont en tête, sans particulièrement chercher à entrer dans la case « jeunesse ». C’est une bonne chose, car l’authenticité de la démarche se ressent dans l’écriture. Et il est tout à fait possible d’avoir un style simple et accessible, mais qui transmet beaucoup d’émotions. Je pense néanmoins que lorsqu’on s’adresse à une tranche d’âge très jeune, et à plus forte raison dans le cadre d’une novellisation de licence, qui est une branche très spécifique et calibrée en littérature jeunesse, il est important de s’adapter au public ciblé : faire attention à garder un vocabulaire accessible, éviter les phrases trop longues qui sont plus difficiles à comprendre pour un tout jeune lecteur.

Lorsqu’on écrit ce genre de série, on doit s’immerger dans l’univers. Si l’on prend ce travail au second degré, cela se sent immédiatement

CG : Comment expliquez-vous le succès de la série télévisée et des livres auprès d’un très jeune public (les téléspectateurs ont entre 4 et 10 ans), alors que l’héroïne a 17 ans et va au lycée ?

JP :La famille des héros est très présente dans l’intrigue. Daisy se dispute souvent avec son petit frère, par exemple. Je pense que cela rassure les parents et permet de développer des pratiques familiales (j’ai notamment lu le commentaire d’une mère qui avait lu le livre avec sa fille). De plus, les relations entre les protagonistes sont très lisibles, grâce à des archétypes comme l’ennemi juré ou le triangle amoureux. C’est un univers joyeux et plein d’humour – avec des personnages dont la fonction comique est assumée –, très coloré, proche de la comédie musicale à la Un, dos, tres ou High School Musical – avec des morceaux chantés et des cours de théâtre.
Mais il y a également un aspect beaucoup plus sombre : l’héroïne, Daisy, se fait mordre par ses parents vampires, afin de la sauver lorsqu’elle a un accident de voiture, donc elle meurt à moitié, ses parents la sauvent au dernier moment. Elle ne peut donc ni mourir ni dormir, et ne peut boire que du sang. Elle découvre le monde des vampires, souterrain, sombre et gothique. Le mélange entre des thématiques assez dures et une narration haute en couleurs et en humour semble plaire au jeune public.

CG : Vous entamez actuellement un autre projet qui cible le même lectorat ; pouvez-vous nous en parler ?

JP : J’écris à nouveau pour une licence, italienne cette fois-ci, conçue à partir de la série télévisée Maggie et Bianca. La série sera diffusée à partir du mois de mai 2017 en France, sur la chaîne Gulli, et le premier tome 3 Maggie et Bianca, T.1 : « Prêtes à s’envoler », PKJ, 2017. est paru en mars. Deux « meilleures ennemies » intègrent une école de mode ; l’une est une Américaine naïve et passionnée par la mode, tandis que l’autre, fille d’un grand entrepreneur, rêve de chanter. Chaque épisode repose sur un défi – un devoir à rendre, un concert à préparer…
Contrairement à Chica Vampiro, il s’agira d’une véritable novellisation (je m’appuie sur 3 à 4 épisodes par tome), mais le travail sur le style et les contraintes éditoriales restent similaires (suivi de scènes, calibrages…) puisque je m’adresse au même lectorat.

Entretien avec Julie Perrin, auteur
Propos recueillis et mis en forme par Christelle Gombert

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Références

  • 1
    Chica Vampiro hors-série : « Les Amours De Daisy », PKJ, 2016.
  • 2
    Julie Perrin publie ses romans sous un autre pseudonyme.
  • 3
    Maggie et Bianca, T.1 : « Prêtes à s’envoler », PKJ, 2017.