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Les prix littéraires pour la jeunesse, des outils de médiation

Dans une recherche menée en 2012 sur les premiers romans, nous mettions en évidence, Bertrand Legendre et moi-même, le rôle joué par les prix littéraires dans la légitimation des auteurs. En effet, 51% des primo-romanciers interrogés avaient été sélectionnés par le jury d’un prix et il apparaissait que cette distinction les avait confortés dans leur désir de continuer à écrire. Cette étude n’intégrait pas les auteurs de littérature de jeunesse. Il n’est donc pas possible d’affirmer qu’eux aussi sont une majorité à avoir été sélectionnés dès leur premier roman. Rien ne prouve non plus qu’ils accordent la même importance à ces récompenses. Il est certain, en revanche, que la prolifération des prix est un phénomène qui touche autant la littérature de jeunesse que le roman pour adultes. L’objet de cette communication n’est pourtant pas de mener la réflexion sur les effets de cette surabondance, mais plutôt de dégager des critères distinctifs permettant de caractériser les prix pour la jeunesse.

Les prix littéraires pour la jeunesse, une typologie originale

Comme on pourra certainement le constater en découvrant les dispositifs propres aux prix présentés lors de ce colloque, les récompenses littéraires pour la jeunesse reposent sur des stratégies de sélection en partie différentes de ce qu’on peut observer dans les distinctions réservées à la littérature pour adultes.
Ces prix sont en effet segmentés par âge (et ce colloque sera à ce titre centré sur les prix littéraires décernés aux romans pour adolescents), mais aussi par types d’ouvrages (album, roman, documentaire). Cela signifie que la majorité des prix littéraires pour la jeunesse suivent les règles de segmentation de l’offre telles qu’elles ont été conçues par les éditeurs. S’ajoutent à ces prix littéraires qui viennent récompenser les meilleurs ouvrages de l’offre éditoriale en littérature de jeunesse, des distinctions qui sont attribuées par des jurys d’adolescents à des romans pour les adultes (sur le modèle du Goncourt des Lycéens).

Une deuxième caractéristique de ces prix est l’extrême diversité des instances qui les attribuent. Ils sont décernés par des institutions, des collectivités locales, des régions, des départements, des syndicats, des associations, des salons et fêtes du livre, des libraires, des médias, des établissements scolaires, des classes. Ils sont donc remis à tous les niveaux de la chaîne du livre et en particulier des acteurs de la commercialisation, de la promotion et de la médiation. Les prix les plus institutionnels sont bien connus des lecteurs et surtout des prescripteurs, mais ils ne font l’objet que d’une faible médiatisation. Ces prix à forte notoriété ne représentent de toute façon qu’une infime partie des prix pour la jeunesse qui, pour beaucoup d’entre eux, relèvent d’initiatives locales et parfois même internes aux établissements scolaires. Les prix décernés par des écoles et des collèges sont à la fois très nombreux et impossibles à recenser, car ils concernent un public limité et ne recherchent aucune médiatisation.

Une autre spécificité des prix littéraires pour la jeunesse est la composition originale de leurs jurys à laquelle ce colloque sur les récompenses décernées par les adolescents s’intéresse plus particulièrement.
Les jurys sont en effet constitués de professionnels de tous les métiers touchant à la conception des ouvrages (auteurs, éditeurs, photographes, illustrateurs, graphistes, directeurs artistiques), mais aussi d’adultes représentatifs de toutes les catégories socioprofessionnelles qui contribuent à la promotion du livre de jeunesse (organisateurs de salons, libraires, journalistes, professeurs, parents, animateurs et membres d’associations luttant contre l’illettrisme). A ce titre, la composition des jurys est déjà une manifestation de l’importance des enjeux de médiation. Les jurys sont par ailleurs souvent mixtes, incluant différentes catégories de jurés, dans le but de les faire dialoguer ensemble autour du livre.

La dichotomie des prix littéraires pour les adultes entre jury de pairs et jury de lecteurs n’est pas un trait distinctif des récompenses pour la jeunesse. Néanmoins, les lecteurs, c’est-à-dire en l’occurrence les enfants et les adolescents eux-mêmes, sont également très présents dans les jurys. Ils sont parfois mêlés aux adultes ou guidés par eux dans leur choix. Il arrive souvent que les jurys d’enfants ou d’adolescents soient encadrés dans leur démarche par des professeurs et ce, au sein même des établissements scolaires. C’est le cas pour le prix du salon du livre de Saint-Paul-Trois-Châteaux, mais aussi pour le Goncourt des Lycéens. Dans ce dernier exemple, les organisateurs du prix revendiquent une totale indépendance des adolescents dans leurs délibérations et leur choix. C’est bien sûr une question qui mérite d’être discutée puisque ce sont les enseignants qui restent les organisateurs de l’événement dans les établissements retenus.
Même lorsque ce sont des enfants ou des adolescents qui constituent le jury, ces prix ne sont pas pour autant destinés à ce jeune public, car il s’agit plutôt de faire connaître les ouvrages primés des acheteurs que sont les parents et surtout des prescripteurs (bibliothécaires, documentalistes, journalistes et enseignants).
Une dernière particularité de ces prix réside dans l’aide financière, qui peut prendre la forme d’insertions publicitaires ou même d’une bourse au lauréat. Les prix de littérature générale les plus connus, qui assurent à leurs lauréats des ventes conséquentes, même dans les plus mauvaises années, n’ont pas besoin de rétribuer les auteurs. Il en va autrement pour les prix jeunesse : ils ne permettent pas à coup sûr une augmentation des ventes et entendent récompenser des talents débutants ou originaux qui ne sont pas promis à la best-sellerisation. Cette valorisation de l’audace créative est sans doute la différence essentielle entre prix littéraires pour adultes et prix pour la jeunesse. Si, en littérature, on retrouve les mêmes éditeurs en tête des ventes et en tête des prix, les listes des meilleures ventes et les auteurs récompensés par des prix littéraires jeunesse reconnus sont souvent loin de se recouper.

Des prix faiblement médiatisés, conçus comme des outils de médiation

Les prix de littérature pour la jeunesse se fixent le plus souvent pour objectif de défendre la diversité de l’offre (cette fonction n’existe pas pour les prix littéraires pour les adultes les plus connus qui emboîtent souvent les pas du succès). Mais surtout, la particularité des prix de littérature pour la jeunesse tient à ce qu’ils se posent comme des outils de médiation. Lorsqu’ils sont attribués en milieu scolaire, les prix aident les enseignants et les élèves à mieux appréhender une littérature vivante, non patrimoniale, c’est-à-dire qui doit être lue et commentée autrement que ne le sont les classiques.

Choisir un livre, le primer, c’est pour les enseignants accepter de découvrir une littérature qui n’est pas « filtrée ». Ceci les amène à rechercher leurs propres critères d’appréciation. Les corpus enseignés ne comportent que depuis peu des œuvres contemporaines de littérature ou de littérature de jeunesse. Or, la cohabitation des classiques et des œuvres contemporaines (notamment, mais pas seulement, de jeunesse) crée des tensions que les récents changements de programme ont tenté d’estomper, mais que certains dispositifs de réflexion sur la création littéraire (et les prix en font partie) peuvent contribuer à apaiser. Participer à un prix de littérature de jeunesse, c’est en effet, pour les enseignants comme pour les élèves, l’occasion de débats et de confrontations de points de vue d’une nature nouvelle.
Les professeurs qui ont organisé le Goncourt des Lycéens dans leurs classes, comme ceux qui mettent en scène des défis lecture aboutissant à l’attribution d’un prix, ou ceux qui inscrivent leurs classes dans le processus d’une compétition institutionnelle (organisée par un salon, par exemple), sont les promoteurs d’activités autour du livre, au cœur des mutations de l’enseignement de la littérature.

Lorsqu’ils ne sont pas attribués dans un contexte scolaire, les prix de littérature de jeunesse qui ont pour jurés des enfants ou des adolescents, contribuent aussi, à leur façon, à la médiation du livre de jeunesse et plus largement de la lecture. L’un des aspects les plus importants de la médiation permise par ce type de prix est le contact avec les auteurs. Derrière la prolifération des prix pour la jeunesse dont des enfants et les adolescents sont les jurés, se dessine souvent un rapport nouveau à l’écrit et à la lecture. Un tel colloque nous permettra sans doute de le découvrir.

Par Corinne Abensour, article paru dans la revue Lecture Jeune 147 (septembre 2013)

Publications de Corinne Abensour en lien avec le sujet

  • Corinne Abensour, Bertrand Legendre, Marie-Pier Luneau, « Entrer en littérature : premiers romans et primo-romanciers au Québec, 1998-2008 », Documentation et bibliothèques, vol. 59, N°1, Montréal (janv-mars) p. 36-47, 2013.
  • Corinne Abensour et Bertrand Legendre, « Libraires et médiation du livre de jeunesse », Les Enjeux, 2007. http://w3.u-grenoble3.fr/les_enjeux/2005/Abensour-Legendre/index.php
  • « Les prix littéraires pour la jeunesse, entre médiation et médiatisation »,  In Mémoires du livre / Studies in book culture, 2010 [np] 
  • www.erudit.org/revue/memoires/2010/v1/n2/044213ar.html (43 000 signes)
  • « La diversité culturelle dans la filière du livre », in Diversité munication, sous la direction de Philippe Bouquillion et Yolande Combès, Paris, L’Harmattan, p. 119-165 [en collaboration avec Bertrand Legendre, Bruno Auerbach, Dominique Cartellier, Cécile Rabot, Christian Robin, Gisèle Sapiro, Hervé Serry], 2010.
  • Corinne Abensour et Bertrand Legendre, Entrer en littérature. Premiers romans et primo-romanciers dans les limbes, Paris, Éd. Arkhé, 2012, 160 p.

Corinne Abensour

Agrégée de lettres modernes, Corinne Abensour, docteur en Sciences de l’information et de la communication, est aussi maître de conférences à l’université Paris 13 où elle dirige le Master Commercialisation du livre. Ses recherches portent sur les politiques éditoriales en France et dans les pays anglo-saxons.