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Paranoïa, du manuscrit au livre

Isabel Vitorino est l’éditrice qui a accompagné Melissa Bellevigne de son manuscrit jusqu’au roman. Elle raconte cette collaboration et le travail qu’elles ont mené sur Paranoïa pour lui permettre d’atteindre sa forme finale.

Marieke Mille : Melissa Bellevigne a publié un texte sur son blog pour annoncer qu’elle allait mettre son activité de blogueuse de côté pour écrire. Le lendemain, Hachette la contacte. 

Isabel Vitorino : Exactement. L’année dernière, à la fin du printemps, nous avons vu apparaître un nouveau phénomène éditorial. Un livre, Enjoy Marie1M. Lopez, Anne Carrière, 2015. , s’est très vite installé dans le top des ventes en jeunesse. Dans notre veille sur les tendances, nous observions que les Youtubers passaient de l’écran à l’édition. Notre travail est d’être attentif aux propositions envoyées, aux auteurs rencontrés, mais aussi au marché pour réagir à ce qui semble plaire aux lecteurs en amont et en aval. Nous avons amorcé une veille très large sur les réseaux pour laquelle nous avons été secondés par une des plus fidèles lectrices de notre comité de lecture, Charlotte Faraday, qui est aussi traductrice et qui suit, à titre personnel, beaucoup de bloggeurs et de Youtubers. Un jour, elle est tombée sur le blog de Golden Wendy où elle a lu que Melissa avait des romans en tête. Elle l’a contactée en lui disant que nous serions intéressés, pour élargir notre production à toute tendance qui plairait au lecteur. Tous les canaux sont bons pour découvrir de nouvelles voix et offrir au lecteur l’inattendu et, nous l’espérons, le succès de demain.

MM : A cette époque, Mélissa est en pleine réécriture de Paranoïa et ne vous envoie pas l’intégralité du manuscrit.

IV : Elle le reprend en détail et l’approfondit. Elle avait envoyé un premier extrait à Cécile Térouanne, notre directrice, qui l’a partagé, entre autres, avec moi. Un mail est arrivé avec une pièce jointe, comme j’en reçois plusieurs chaque jour. Je savais qu’il y avait une veille Youtube, mais  j’ai ouvert la pièce jointe en me gardant de lire le reste, pour avoir un œil neuf. Je veux d’abord un texte. J’étais très étonnée de ne pas avoir beaucoup de matière, mais ce que j’avais découvert me plaisait en tant que lectrice et en tant qu’éditrice. En lisant l’extrait suivant, mon adhésion a été immédiate. Tout n’était pas parfait, mais je voyais un texte en devenir. Le processus a été le même que pour n’importe quel coup de cœur que nous pouvons avoir en ouvrant un fichier, une enveloppe ou un manuscrit. Quand nous avons reçu le récit entier, nous avons craqué. Le travail sur le texte a pu commencer puisque Mélissa écrivait depuis longtemps mais publiait pour la première fois. Il fallait reprendre des détails, la construction, des ajouts… Ce n’est qu’au moment où Cécile, notre directrice, a fait une proposition concrète à l’auteur que je suis allée voir l’autre côté, même si entre temps, j’avais commencé à comprendre qui elle pouvait être.

MM : Qu’est-ce qui vous a plu dans ce roman ?

IV : J’ai tout de suite été séduite par l’histoire qui met en présence une psychiatre renommée et le cas particulier de cette jeune femme si mal en point qu’elle rejette la vie qu’elle porte en elle. Ces thématiques de maternité, de maladie psychologique, l’échange et le jeu de manipulation entre les deux personnages, m’ont plu. J’ai aimé ce duo de femmes et la façon dont le roman se construit en miroir avec le lecteur qui se laisse piéger et ne sait s’il doit croire ou non le récit de la patiente.

MM : Vous avez aidé Mélissa à développer Lisa, la psychiatre, qui était plus effacée dans la première version.

IV : C’est l’auteur évidemment qui décide de mettre l’accent sur l’un ou l’autre de ses personnages. J’avais cependant l’intuition que le retrait de Lisa n’était pas pleinement conscient. La relation entre un auteur et un éditeur fonctionne de cette manière, nous ne sommes à l’origine qu’un lecteur, même si nous sommes le premier et que nous avons un répertoire de référence. Ce sont d’abord des émotions, des ressentis et des questions. Nous avons été plusieurs à nous interroger sur ce déséquilibre des voix avant d’en discuter avec Mélissa, qui était d’accord pour étoffer le personnage.

MM : Quel autre travail avez-vous fait ?

IV : Nous avons repris le manuscrit mot à mot pour questionner le style. Mélissa avait, au départ, le travers de mettre un peu trop d’adverbes. Nous avons aussi étudié la chronologie, qui est très importante dans ce texte construit avec des flashbacks. Il fallait aussi faire des vérifications sur les sessions parlementaires à Londres, par exemple, pour que la narration soit compatible avec les heures d’ouvertures réelles. Nous avons développé la possibilité, déjà présente dans le texte d’origine, qu’a le narrateur de jouer avec les nerfs du lecteur dans certaines phrases, qui peuvent être ambiguës. Le texte a été truffé d’instants de doute pour que le lecteur se pose toujours la question de la véracité du récit rétrospectif fantastique ou d’une manipulation. Ce travail éditorial est à mon sens classique : l’auteur propose son texte que nous perfectionnons. Nous suggérons des idées sur lesquelles il retravaille pour les accepter, les refuser ou rebondir et aller plus loin.

MM : Elle vous a aussi envoyé son premier roman qui vous a plu alors qu’il avait été refusé il y a quelques années.

IV : Les critiques ne venaient pas de chez nous. Je n’ai pas retrouvé trace du manuscrit en question dans notre base de données. Après avoir rencontré un auteur, nous souhaitons envisager une collaboration à long terme. Le roman n’a absolument rien à voir avec Paranoïa, mais il a du potentiel. Il devra être repris aussi, de nombreux éléments doivent être pensés ensemble puisqu’il date d’il y a quelques années. Mélissa nous a elle-même dit avoir gagné en efficacité et en acuité sur le texte, suite à cette première collaboration. Nous avons beaucoup travaillé, même sur des points de grammaire. Elle est très perfectionniste, donc quand elle réalise qu’elle a fait une erreur, elle note la correction pour faire mieux la fois suivante. Son travail évolue chaque jour.

MM : Pourquoi avoir pris la décision de ne pas faire apparaître son pseudonyme ?

IV : Nous avons effectivement trouvé cet auteur dans le cadre d’une veille sur le monde des influenceurs. L’échange qui s’est initié, a immédiatement été celui d’un éditeur avec une romancière.

Paranoïa de Melissa Bellevigne, édité dans la collection Black Moon.

Nous voulions présenter dans le cadre le plus juste ce premier roman d’un auteur qui se trouve être aussi une Youtubeuse.

Il aurait été trop réducteur de l’estampiller Golden Wendy, puisque nous avons d’abord eu un coup de cœur pour un texte. La promotion a été immédiatement pensée dans l’idée de toucher sa communauté. Nous voulions que les personnes qui lisent moins et qui sont beaucoup sur les réseaux sociaux, aient peut-être envie de découvrir le livre de cette blogueuse. Notre ambition est quand même de faire d’elle une romancière à part entière. Elle ne le souhaitait d’ailleurs pas non plus. Il nous a semblé plus cohérent avec son envie, notre ambition et la synergie sur le projet, de ne pas mentionner son pseudo.

MM : Quels dispositifs de promotion avez-vous mis en place ?

IV : Avec Mélissa, nous avons testé des précommandes. Le texte était prêt suffisamment en amont pour susciter chez les lectrices l’envie d’en savoir plus et de recevoir le livre dès la sortie. Quand les précommandes sont suffisamment nombreuses, le titre grimpe dans les tops ventes des différents sites marchands. Pour les favoriser, les lecteurs qui justifiaient de leur commande pouvaient recevoir un très beau livret dédicacé par Mélissa avec des extraits. Nous avons parlé du titre sur nos sites, nos réseaux et ceux de Mélissa et nous avons procédé à un dévoilement, pour créer ce qu’on appelle le buzz. Par différents moyens, nous avons essayé de placer le livre avant la sortie tout en ménageant certaines surprises. Nous avons communiqué auprès des communautés de lecteurs, de bloggeurs avec qui nous travaillons depuis des années, qui ont reçu des épreuves non corrigées. Ce sont des dispositifs assez classiques. Nous avons en revanche organisé une soirée de lancement autour de Paranoïa et de Mélissa, ce que nous faisons très peu. C’était pour moi la première fois. Lors de cet événement, il y a eu une présentation du livre, puis une interview de Mélissa par la Booktubeuse Margaud Liseuse et une signature. Nous avons voulu créer un moment convivial pour faire se côtoyer ceux qui connaissaient Mélissa en tant que Golden Wendy et ceux qui, au contraire, venaient parce qu’ils nous suivent, pour créer une rencontre entre un tout jeune auteur et des lecteurs.

PROPOS RECUEILLIS ET MIS EN FORME PAR MARIEKE MILLE, REDACTRICE-EN-CHEF DE LECTURE JEUNE, EN AVRIL 2016.

Isabel Vitorino

Si elle a appris à lire rapidement à son entrée en CP, Isabel Vitorino n’est véritablement tombée dans la marmite de la littérature qu’à l’adolescence, grâce à des professeurs de lettres qui lui en ont transmis la passion. Depuis, son appétit pour les romans n’a cessé de grandir et l’a conduite vers une classe préparatoire littéraire suivie d’un master Métiers du livre. Éditrice chez Hachette Romans depuis 2010, elle sélectionne et travaille sur des romans pour tous les segments du catalogue, depuis la collection Junior pour les 8-10 ans jusqu’aux collections Black Moon et Black Moon Romance.

Paranoïa de Melissa Bellevigne, édité dans la collection Black Moon.

Références

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    M. Lopez, Anne Carrière, 2015.