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Pourquoi utiliser les principes du marketing en bibliothèque ?

Désormais, une bibliothèque ne peut plus se permettre de « vivre cachée ». Chaque établissement doit apprendre à mieux communiquer sur son image mais aussi avec son public, ses partenaires et ses différents interlocuteurs.

Parmi les professionnels des bibliothèques, il en est encore beaucoup qui ne voient pas trop l’intérêt d’y importer les principes du marketing, dérivés du secteur privé : les bibliothèques sont un secteur privilégié à part, pensent-ils souvent, culturel et soumis aux lois du contexte et du service public. Les lois qui régissent le monde marchand ne peuvent s’implanter sans dommage dans un contexte régi par un souci non pas de productivité, mais de services accessibles à tous dans une volonté démocratique de culture, d’information et de formation.

Certes. Mais c’est devenu un leitmotiv d’affirmer que le monde des bibliothèques change, et son contexte également, et que pour continuer à exister, la bibliothèque doit justifier auprès de ses autorités de tutelle des bénéfices de son existence et des coûts qu’elle entraîne. Elle n’existe plus « de droit divin », elle est soumise elle aussi aux fluctuations de contextes favorables et d’enjeux à tenir.

Accentuer sa visibilité

Elle ne peut plus par exemple, continuer à exister sans faire parler d’elle, sous peine de tomber dans l’oubli, le désintérêt et par voie de conséquence le manque de moyens. Elle doit veiller à se mettre en valeur par des projets mis en avant, des actions concertées et déclarées bénéfiques par diverses sources. Par le jeu classique des « retours d’ascenseur », elle doit valoriser ceux qui ont misé sur elle, que ce soit les autorités de tutelle, les partenaires institutionnels ou privés. Si les moyens engagés sur elle ne donnent pas satisfaction, l’investissement sera proposé ailleurs.

L’adage : « Pour vivre heureux vivons caché » ne peut plus sans danger avoir cours dans la profession. Modeste ou peu visible, la bibliothèque est appelée à disparaître, dans un monde où le jeu de la concurrence est exercé aussi par ceux qui sont depuis longtemps des partenaires potentiels, privés et publics : les éditeurs offrent de plus en plus de services dévolus jadis aux bibliothèques ; d’autres services de la collectivité territoriale se partagent avec elles les subsides issus des impôts : c’est en ces termes que les élus réfléchissent : « Cette année, sur quoi va-t-on investir ? Une annexe de la bibliothèque ou une nouvelle crèche ? Quels sont les enjeux politiques les plus importants ? ».

Comme les musées font parler d’eux grâce à leurs expositions temporaires, c’est par l’entremise de ses actions ponctuelles que la bibliothèque peut saisir les occasions de faire parler d’elle de manière positive.

Sans pouvoir faire étalage des actions de fond qu’elle mène, dans la lutte contre l’illettrisme ou l’incitation à la lecture, qui sont des opérations de long terme qu’il est difficile de faire bénéficier d’une couverture médiatique.

Respecter les enjeux et maîtriser le langage de ses partenaires

Pour affirmer le bien-fondé de son utilité sociale, la bibliothèque doit non seulement agir, en amont et en aval, mais le faire savoir auprès des personnes influentes, décideurs ou leaders d’opinion, en utilisant leur propre langage, leurs propres modes de pensées, en prenant en considération leurs propres enjeux. On sait bien que les bibliothécaires sont toujours à mendier des budgets, des locaux, des personnels, des espaces… Ils sont en position de quémandeurs.

Pour avoir une chance que leurs placets soient entendus d’une oreille intéressée par les organes du pouvoir, ils doivent désormais non plus utiliser les arguments bibliothéconomiques que personne ne maîtrise en dehors d’eux et qui n’intéressent personne, mais connaître et utiliser le langage de leurs interlocuteurs.

Pour faire simple, on peut se baser sur le fait qu’un homme politique est intéressé par les moyens, en terme d’image essentiellement, que la bibliothèque peut lui donner d’être réélu ; un secrétaire général désire recevoir des rapports administratifs sans défauts, un agent comptable veut des budgets prévisionnels, des factures sans bavures et des offres de marché public bien ficelées ; un architecte pense en terme d’espaces, de volumes et de jeux de lumières, tandis qu’un ingénieur des travaux pense en terme de plans, de normes de sécurité, de marchés…

Chacun voit midi à sa porte et l’art d’un directeur de bibliothèque est de passer du statut de quémandeur, que tout le monde fuit, à celui de partenaire privilégié que chacun désire solliciter. C’est une question non pas de compétence, mais d’image et de notoriété. Car personne à part les autres bibliothécaires n’est en mesure de juger de la compétence professionnelle d’un autre bibliothécaire, alors que chacun peut juger de sa compétence vue de son propre point de vue.

Pour qu’un bibliothécaire puisse se faire respecter, puis se faire entendre et enfin puisse négocier avec un de ses partenaires, un architecte, par exemple, il doit connaître les règles essentielles du métier de son interlocuteur et s’y conformer. Ainsi ce n’est pas lors d’une visite de chantier qu’il peut s’interroger sur l’opportunité de l’emplacement de tel ou tel mur porteur, ou de tel lien direct entre deux fonctions. C’est au niveau de l’étape du cahier des charges qu’il aurait fallu s’en préoccuper, souvent plusieurs années auparavant. S’il pousse les hauts cris, il perd toute crédibilité, jusqu’à se faire interdire de chantier.

Savoir choisir une stratégie

Les relations de la bibliothèque avec ses partenaires se tissent sur le mode de la fluidité. Si la première, elle les respecte, elle peut espérer ensuite, souvent après plusieurs années de patients travaux d’approche, obtenir la confiance de ses partenaires et s’en faire écouter, puis parfois, obtenir ce qu’elle désire.

Le marketing, sur le plan stratégique, est l’art de s’adresser à la bonne personne, avec les bons arguments, au moment propice.

Et bien souvent, quand la bibliothèque échoue à obtenir ce qu’elle voulait, c’est qu’elle a manqué de clairvoyance et que des éléments d’information clés lui ont fait défaut. Le marketing stratégique s’apparente à la technique de projet selon laquelle les arguments de poids s’appuient sur trois questions essentielles : « qui ? quoi ? pourquoi ? », questions dont la congruence des réponses entre elles permettra d’évaluer les résultats à partir de l’objectif initial.

Mais un objectif n’est pas un vœu pieux, ou un concept qualitatif difficile à atteindre, comme le sont les prises de position sur les bienfaits de la lecture. Un partenaire qui engage des moyens souvent importants dans une action culturelle, sociale ou institutionnelle en attend un retour sur investissement, c’est-à-dire la possibilité de se rendre lui aussi plus visible avec cette action : il a besoin de chiffres, de faits concrets, que l’on peut toucher du doigt, évaluer, montrer, examiner, comparer, et qui permettent de justifier les actions engagées auprès de ceux à qui il doit lui-même rendre des comptes. Le jeu des responsabilités ou plus prosaïquement celui des parapluies que chacun ouvre pour se couvrir, est une sorte de poupée russe où chacun est responsable devant un autre, lui-même responsable…

Mais, sans aucun doute, un beau projet, assorti des arguments susceptibles d’intéresser chacun des partenaires concernés, et lui permettant de discerner sans difficulté les avantages que lui-même peut en attendre, a toutes les chances d’aboutir. « On ne prête qu’aux riches ».

Informer ou communiquer ?

Comment faire ? Une des règles de la communication est que l’émetteur d’un message est responsable non seulement de ce qu’il dit, mais aussi de la façon dont son message sera reçu par les récepteurs. Si le message est refusé, pour une raison ou pour une autre, c’est de sa responsabilité car il n’a pas su tenir compte des facteurs de résistance. Cela signifie qu’une animation qui n’a pas trouvé son public par exemple, ou qu’un document en rayon qui n’est jamais sorti est une erreur de politique d’acquisition et non pas une inconséquence de la part d’un public ignorant.

C’est là une des grandes forces du marketing : savoir prendre en compte les besoins, les attentes des clients, usagers, récepteurs des services proposés, pour leur fournir un service adapté. C’est là l’idée de base de nombreux services d’aide à la recherche d’emploi. Mais cette idée fait pièce à une conception du métier très ancrée : pour beaucoup de professionnels, le rôle du bibliothécaire est de mettre à disposition des collections, les plus cohérentes possible, par rapport au concept de « fonds » en laissant au public la liberté de choisir en fonction de ses aspirations. « Voici, nous avons sélectionné pour vous, servez-vous ».

C’est là une des grandes forces du marketing : savoir prendre en compte les besoins, les attentes des clients, usagers, récepteurs des services proposés, pour leur fournir un service adapté

Dans une bibliothèque de lecture publique, où la mission principale est la mission de diffusion culturelle, à choisir quel est de ces deux maux le moindre ? Un ouvrage qui ne sort jamais ou un ouvrage qui est volé dès son premier mois de mise en rayon ? À tout prendre, dans une logique de service adapté au public, un livre volé a au moins trouvé un lecteur, au contraire d’un livre qui sera désherbé sans être jamais sorti…

De nombreux bibliothécaires ne veulent pas privilégier les attentes du public au détriment de la notion de fonds : ils mettent à disposition les collections en fonction de leurs propres critères de choix : ils font de l’information en ce sens qu’ils mettent simplement à disposition.

Ils ne communiquent pas en ce sens qu’ils ne considèrent pas les attentes de leurs publics comme le facteur à privilégier, celui de l’adéquation des collections à la demande de ces publics spécifiques : si c’était le cas, et malgré d’autres facteurs à entrer en ligne de compte, le taux de rotation des collections serait bien supérieur à la moyenne nationale actuelle.

Définir des critères

Une telle conception des collections et des actions menées par la bibliothèque implique nécessairement un choix ou une hiérarchie des publics. Le « grand public » est une vue de l’esprit : chaque bibliothèque a la responsabilité de desservir certains publics plus que d’autres, selon des critères objectifs tels que l’âge, le sexe, la localisation, les catégories socioprofessionnelles, etc.

En effet, on ne peut servir tous les publics sur le même pied : sans rentrer dans le détail de la pertinence de l’objectif visé, une bibliothèque ou section jeunesse par exemple ne pourra pas recevoir toutes les classes de toutes les écoles de son secteur en un an. C’est matériellement impossible. Il lui faut faire un choix, qu’elle fait de toute façon, mais pas forcément de manière explicite et justifiée.

Devoir choisir une politique d’accueil des classes qui réponde à la fois à une attente des autorités de tutelle et à un besoin ou une demande réelle implique de définir et de rendre publics des critères de choix, critères qui de ce fait peuvent être soumis à la discussion et à la polémique. Mais une fois adoptés, ils font partie de la vie publique et définissent une règle du jeu que l’on peut ensuite évaluer et qui peut faire l’objet d’un rapport, élément concret et tangible qui contribue à rendre visible une des nombreuses activités souvent insoupçonnées de la bibliothèque.

Faire et faire savoir

Bien souvent aussi, les bibliothèques mènent de front de nombreuses activités qui absorbent toutes leurs énergies. Il n’en reste plus beaucoup ensuite pour les faire connaître auprès des personnes influentes et intéressantes (et non pas intéressées) par des rapports, des articles, des expositions ou des échanges… Le temps passe, consacré à la préparation et la réalisation d’une succession d’activités, d’actions d’animations, de projets concertés. L’action s’est déroulée de manière satisfaisante, semble-t-il, en ce sens que « les gens sont contents », et dès le lendemain, on entame un autre projet.

Pour garder trace de ces actions et contribuer grâce à elles à sa notoriété, la bibliothèque a avantage à se constituer un capital d’image

Malheureusement, un projet qui n’est pas mis en valeur, « monté en épingle », rendu visible par tout un dispositif monté autour de lui et qui le justifie, ne contribue pas à valoriser l’image institutionnelle de la bibliothèque, ni n’enrichit son capital d’image. Quelques temps après, rien ne permet d’en garder le souvenir positif, en dehors de la mémoire orale des participants, mémoire fragile s’il en fut, et les actions menées, tels de petits nuages indépendants les uns des autres, se dissolvent très vite dans le bleu oublieux du ciel. Pour garder trace de ces actions et contribuer grâce à elles à sa notoriété, la bibliothèque a avantage à se constituer un capital d’image fondé sur ses caractéristiques réelles et spécifiques.

Enrichir son capital d’image

On remarque une grande diversité d’une bibliothèque à une autre : selon les strates historiques et les concepts bibliothéconomiques en vigueur à l’époque de sa construction, selon l’influence de son créateur, la conjoncture plus ou moins favorable de son environnement, son statut, ses publics, les aléas de son histoire, les modes de gestion, les rituels en vigueur, l’organisation du travail, etc., de nombreux éléments définissent le profil d’une bibliothèque, qui la rendent originale, singulière, à nulle autre pareille. Ces traits caractéristiques qui reflètent sa personnalité constituent la base des éléments permettant de traduire en langage et signes visuels, en logo, charte graphique, son identité. Ce sont eux, synthétisés comme une émanation symbolique en un seul concept ou ensemble visuel qui permettront de faire apparaître comme un sceau, une estampille, sa marque de fabrication sur chacune des actions, des services, des événements qu’elle a produits.

Cette identité visuelle, en signant chacune des actions de la bibliothèque, les authentifie en tant qu’auteur en même temps qu’elle enrichit par la multiplicité des occasions où elle fait apparaître son image, le capital d’image : toute action, signée, légitimée, est l’occasion pour la bibliothèque émettrice de faire parler d’elle, d’augmenter sa visibilité dans la permanence (de sa ligne graphique) les éléments positifs de notoriété émis à l’occasion des activités ponctuelles médiatisées par des prospectus, des affiches, des articles, des interviews…

Une image spécifique

Une des questions actuelles pour les bibliothèques est celle de la possibilité d’avoir une image spécifique indépendante ou liée à celle de son autorité de tutelle : exister au sein de l’image fédératrice sans être absorbée par elle. C’est la grande question des logos de bibliothèque, qui peu à peu disparaissent au profit de la seule identité visuelle de la mairie ou du département.

Même si l’on sait que trop d’images brouillent le message et le rendent incohérent, l’enjeu de l’image visuelle des bibliothèques est sa visibilité, et donc sa notoriété et son existence même

Mais même si l’on sait que trop d’images brouillent le message et le rendent incohérent, l’enjeu de l’image visuelle des bibliothèques est sa visibilité, et donc sa notoriété et son existence même. L’exemple de la maison de l’Image et du Son de Villeurbanne est ici éclairante : c’est parce que son identité visuelle était forte et porteuse de sens que la mairie a non seulement respecté son logo mais a fait en sorte d’harmoniser le logo de la ville à celui de la médiathèque.

Par ailleurs, le simple fait de noter le nom de la bibliothèque peut constituer en soi son identité visuelle, du fait même de son caractère typographique et de sa mise en espace, comme c’est le cas pour les médiathèques du SAN de Saint-Quentin-en-Yvelines. Dans toute communication visuelle, être visible signifie aussi et surtout exister.

La visibilité du métier

Ce qui est vrai pour la communication visuelle l’est aussi pour le métier. De nombreux bibliothécaires se plaignent encore de constater que le métier, mal connu, souffre d’une image faible et dévalorisée. Mais que font les bibliothécaires pour valoriser leur métier ? Il est vrai que contrairement à un boulanger, par exemple, qui produit un bien concret, du pain, les bibliothécaires ne produisent rien de semblable, puisque ce sont les éditeurs qui produisent le livre qu’elles mettent en rayon. Les bibliothécaires ne produisent pas que des services, de la valeur ajoutée par rapport au produit initial, donc rien de tangible, de concret, mais du « transparent ».

Or peu de bibliothèques expliquent ou montrent à leurs publics et leur autorité de tutelle à quoi elles passent leur temps. Peu de guides du lecteur, par exemple, mettent en avant le professionnalisme et la disponibilité du personnel, avant la qualité des collections, ou expliquent en mots simples les différentes étapes de la mise en service d’un document ; peu de dépliants publicitaires marquent la différence entre les horaires d’ouverture au public et les horaires d’ouverture sur rendez-vous, ce qui fait que si la bibliothèque ouvre 30 heures par semaine, par exemple, personne ne peut deviner, à part les bénéficiaires, peu nombreux, qu’en dehors de ces heures d’ouverture elle reçoit des classes, des groupes, qu’elle produit d’autres types d’activités, profitables aussi à la collectivité.

Il est vrai que l’opacité d’une fonction peut sembler a priori protectrice car on n’a pas alors à justifier des choix opérés. Mais en contrepartie, on risque de vivre ignoré de tous, en dehors des enjeux vitaux de la cité.

Une gestion lucide des partenaires

Une stratégie marketing implique de travailler ses relations pour se faire connaître, se faire apprécier et surtout ne pas se faire oublier, que ce soit auprès des médias, qui sont, avec les partenaires institutionnels, de grands relayeurs d’information, ou auprès des décideurs. Deux critères peuvent être retenus pour les classer en quatre groupes : le critère de pouvoir sur la bibliothèque et celui de la qualité de la relation. Les partenaires qui doivent faire l’objet de soins constants et attentifs sont bien évidemment ceux qui ont un grand pouvoir sur la bibliothèque et avec lesquels les relations sont excellentes (ou a contrario un pouvoir de nuisance, comme l’avait la fée Carabosse).

L’équilibre du partenariat

Qui s’intéresse aux bibliothèques ? Dans l’ensemble, peu de gens mais ceux qui s’y intéressent peuvent jouer un rôle de premier plan dans le développement de leurs activités et de leur notoriété. Le monde des bibliothèques, par son aspect culturel et démocratique est extrêmement valorisant pour de multiples partenaires privés, qui si on les sollicitait, seraient prêts à investir de l’énergie, des moyens, dans des actions de mécénat ou de partenariat. Mais il est prudent de garder en mémoire que les organismes privés ne sont pas des philanthropes, qu’ils ont des comptes à rendre et doivent y trouver leur intérêt.

Les bibliothèques en frayant avec le secteur privé, doivent connaître les codes de la communication institutionnelle et visuelle, les enjeux en terme d’image pour ne pas se laisser facilement manipuler

Un accord peut être trouvé entre deux mondes aux intérêts différents, qui ne soit un marché de dupes, ni pour l’un ni pour l’autre. Les bibliothèques ne doivent pas dévaloriser a priori les services en terme d’image qu’elles peuvent rendre en permettant à des sponsors d’accoler leur identité visuelle à celle de la bibliothèque : elles ne doivent pas permettre, par exemple, qu’une banque, parce qu’elle finance le coût de fabrication des cartes de lecteur de la bibliothèque, s’octroie la plus grande partie de l’espace de la carte pour y faire sa propre publicité.

Les bibliothèques en frayant avec le secteur privé, doivent connaître les codes de la communication institutionnelle et visuelle, les enjeux en terme d’image pour ne pas se laisser facilement manipuler. Mais les professionnels des bibliothèques n’ont nulle part appris, sauf par l’entremise du service communication de leur ville ou à leurs dépens, à dialoguer avec des organisations privées, qui par leur pouvoir, leurs moyens sans commune mesure avec ceux du secteur public, et leur réseau d’influence, peuvent jouer un grand rôle dans la promotion et la notoriété des activités de la bibliothèque.

La cohérence des actions

Travailler en partenariat avec des organismes aux logiques différentes oblige la bibliothèque à plus de rigueur : elle doit prouver la légitimité, l’opportunité et l’intérêt de sa politique et des actions qu’elle engage, car elle n’est plus seule en cause. Elle doit en effet concilier avec ses objectifs propres ceux des autres partenaires pour aboutir à une action commune, profitable aux uns et aux autres.

Elle doit savoir repérer des besoins ou des attentes, les classer par priorité, les estimer, formuler plusieurs options de réponse, savoir dialoguer, négocier ses propres objectifs avec ceux des autres partenaires impliqués, comme peuvent l’être une école, un centre de loisirs, une maison de retraite, aux modes de fonctionnement très éloignés des siens, fixer une procédure commune, prévoir des modes d’évaluation pertinents, réajuster les objectifs au fur et à mesure de la conjoncture, etc. Mais ce qu’elle perd en liberté d’action, elle le regagne au centuple en visibilité, en qualité d’image, en impact et en notoriété.

La fidélisation des publics

De nombreuses idées, éprouvées depuis longtemps dans le secteur marchand pourraient être utilisées avec profit par les bibliothèques. Les entreprises privées savent par exemple qu’il est beaucoup plus coûteux pour elles de gagner des publics nouveaux que de fidéliser ceux qui existent déjà. Or il semblerait que les bibliothèques fassent exactement l’inverse : elles dépensent sans compter pour sensibiliser de nouveaux publics à la lecture, au livre et éventuellement à la fréquentation de la bibliothèque : elles sont nombreuses à pratiquer les bibliothèques de rue, les visites de classes, les animations en crèche, les ateliers lecture, les défis lecture, etc…

Mais tous ces efforts qui peuvent ne porter leurs fruits qu’au bout de plusieurs années, peuvent être réduits à néant en un instant par un accueil de médiocre qualité. En revanche, comment les « vieux » lecteurs sont-ils récompensés de leur fidélité ? Ont-ils le droit par exemple, de bénéficier en avant-première de promotions organisées par la bibliothèque ? Ont-ils des tarifs réduits ? Des conditions de prêt plus avantageuses ? Certaines bibliothèques octroient à leurs lecteurs favoris des privilèges, mais « sous le manteau », à titre personnel et ne peuvent donc en faire publiquement état.

En réalité, introduire en bibliothèque quelques outils du marketing produit l’immense avantage de travailler avec beaucoup plus d’efficacité. Les bibliothèques, et en particulier les bibliothèques et sections pour la jeunesse, dépensent sans compter une immense énergie, dans l’enthousiasme et le désir de diffuser auprès des plus démunis les merveilles de la littérature et des services pour la jeunesse. Si grâce à des outils adaptés, les bibliothécaires canalisent leur énergie de façon beaucoup plus productive et surtout plus bénéfique en terme d’image et de notoriété, qui pourrait s’en plaindre ?

Introduire en bibliothèque quelques outils du marketing produit l’immense avantage de travailler avec beaucoup plus d’efficacité

Les bibliothèques font un énorme travail auprès de leurs publics, mais peu de gens le savent. Utiliser les outils du marketing est aussi un moyen efficace de montrer son professionnalisme et de sortir de l’image de « bricolage » qui colle à la peau de nombreux professionnels. En acquérant des compétences en terme de management, de communication, de marketing, les bibliothécaires se donnent les moyens de dialoguer sans risque de déshonneur sur le même pied que leurs partenaires institutionnels et privés. Car dès qu’ils sortent des activités traditionnelles des bibliothèques et collaborent avec des professionnels d’autres univers, ils sont confrontés à des personnes dont la pratique du marketing fait partie du métier et qui ont un regard rigoureux sur les actions à mener.

Par Marielle de Miribel, article initialement paru dans Lecture Jeune n°103, le marketing : un savoir-faire au service de la lecture ? (septembre 2002)

Pour en savoir plus

  • Florence Muet et Jean-Michel Salaûn, Stratégie marketing des services d’information : bibliothèques et centres d’information, Paris, Éditions du Cercle de la Librairie-Electre, 2001, Collection Bibliothèques, 221 p.
  • Éric Sutter, Le Marketing des services d’information, Paris, ESF, 1994, 207 p.
  • Bertrand de Quatrebarbes, Usagers ou clients ? Écoute, marketing et qualité dans les services publics, Paris, Éd. d’Organisation, 1998, 392 p.
  • Christopher Lovelock, Denis Lapert, Marketing des services, Paris, Publi-Union, 1999, 532 p.
  • Philip Kotier, Michel Dubois, Marketing management : analyse, planification, contrôle, Paris, Publi-Union, 2000, 790 p.
  • Gilles Marion, Franck Azimont, François Mayaux et alii, Marketing, mode d’emploi, Paris, Éd. d’Organisation, 1998, 520 p

Marielle de Miribel

Formatrice à Médiadix et à l’IUT métiers du Livre de Paris X Nanterre, Marielle de Miribel est conservatrice en chef et membre fondateur de la section marketing & management à l’Ifla.

LinkedIn : Marielle de Miribe