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Chaîne du livre : où sont les maillons polluants ?

Les critiques écologiques à l’encontre de l’industrie du livre se résument en trois mots : le papier pollue. Mais le livre est-il vraiment nocif pour la planète ? De la forêt aux librairies en passant par l’impression et la livraison, Pascal Lenoir explique les étapes de la fabrication d’un livre. Et pointe les efforts à mener pour en limiter l’impact environnemental– chez les éditeurs comme chez les lecteurs.

Christelle Gombert : L’industrie du livre est-elle une cause majeure de déforestation ?

Pascal Lenoir : L’incidence du livre sur le climat est réelle et ne doit pas être négligée. Cependant, il faut la mettre en balance avec son impact sociétal. Plus qu’un simple produit de consommation, le livre est un bien culturel dont les bénéfices sont incalculables. Cela étant dit, 80 % de la déforestation mondiale sont dus à l’élevage et à l’agriculture. Et sur l’ensemble du papier consommé en France, seuls 6 % sont dédiés àla fabrication de livres. La presse et la publicité sont les plus gros consommateurs. Malgré tout, depuis près de 30 ans, l’industrie française du livre se fournit dans des forêts très strictement contrôlées.

CG : Comment est vérifiée l’origine du papier et son incidence sur l’environnement ?

PL : Il existe deux principales certifications dans le monde : le label FSC1Forest Stewardship Council (Conseil de Soutien de la Forêt). , créé par des ONG comme WWF et Greenpeace, et le label PEFC. Pour obtenir ces labels exigeants, le papier doit avoir été contrôlé tout au long de sa chaîne de fabrication pour assurer qu’il est produit selon les normes imposées. Il faut que les forêts soient durablement gérées : replantation d’arbres diversifiés, biodiversité respectée, alternance des parcelles, sols et eaux maintenus à un bon niveau de qualité, préoccupation pour la vie économique locale, etc. Ces labels ont sans doute leurs défauts, mais en tant qu’éditeurs, nous ne pouvons qu’accorder notre confiance aux ONG qui les soutiennent. L’édition française utilise ainsi aujourd’hui 93 % de papier certifié ou recyclé, issu de forêts durablement gérées. Il reste donc une petite proportion de forêts moins bien gérées, comme au Brésil, où des espèces rentables telles que l’eucalyptus appauvrissent les sols.

Il faut que les forêts soient durablement gérées : replantation d’arbres diversifiés, biodiversité respectée, alternance des parcelles

CG : Après la coupe des arbres, vient la transformation de la fibre en pâte, puis en papier. Ces étapes sont très énergivores…

PL : Il y a une certaine déperdition d’eau lorsqu’on chauffe le papier pour le sécher ; on crée donc de la vapeur. Quant à l’eau liquide utilisée, elle n’est pas rejetée dans la nature telle quelle, pleine de produits chimiques. Pour respecter les normes internationales sur la qualité de l’eau, les papetiers font preuve d’une vraie inventivité. Arctic Paper, par exemple, a créé des bassins où des plantes filtrent naturellement l’eau. J’en ai même bu un verre directement à la sortie d’une de leurs usines ! Autre exemple : certains papetiers brûlent leurs déchets pour remplacer leurs besoins en électricité par la production de chaleur.

CG : Ensuite, il faut traiter le papier pour l’adapter aux besoins de l’éditeur. Les traitements appliqués sont-ils polluants ?

PL : Les papiers très blancs comportent beaucoup d’azurants optiques. Ce sont ces particules bleues qu’on trouve aussi dans les lessives. Physiologiquement, l’être humain a l’impression que le blanc-jaune est sale, tandis que le blanc bleuté paraît propre. Ces composants ne sont pas biodégradables. Je ne suis pas partisan de ces agents azurants, parce qu’en plus, le papier trop blanc fatigue l’œil.

CG : Une fois le livre fabriqué, il est acheminé chez les libraires, qui retourneront leurs invendus à l’éditeur. Comment limiter ces allers-retours de transports ?

PL : Imaginons qu’un libraire ait écoulé ses dix exemplaires d’Harry Potter et m’en redemande. Je n’ai plus de stock ; je réimprime le roman. Or, deux jours plus tard, le libraire d’en face n’a pas réussi à vendre ses exemplaires, et m’en renvoie huit… Alors que je viens de remplir mes réserves. Malheureusement, en France, nous ne disposons pas encore d’un dispositif efficace de book tracking, qui permettrait de connaître exactement l’état des stocks dans le réseau. Cela exigerait de l’ensemble des points de vente – libraires, grandes surfaces culturelles, bureaux de presse, etc. –de faire remonter chaque jour les informations sur leur stock. C’est un fonctionnement complexe qui demanderait d’engager du temps et des ressources.

CG : Que deviennent finalement les livres non vendus ?

PL : Ils peuvent être réintégrés aux stocks de l’éditeur. Il faut alors vérifier la qualité de chaque exemplaire à la main, car ils ont pu être étiquetés ou abîmés. Le livre ne passe donc par là que si sa valeur est supérieure au coût des manipulations – c’est le cas des beaux livres. Les autres, soit 15 % des livres mis sur le marché, partent au pilon et sont à nouveau réduits en pâte à papier. 100 % des papiers pilonnés sont ainsi recyclés. En revanche, on ne sait pas encore comment réutiliser les autres composants, comme l’encre et la colle.

100 % des papiers pilonnés sont recyclés. En revanche, on ne sait pas encore comment réutiliser l’encre et la colle

CG : Pourquoi, dans ce cas, trouve-t-on si peu de livres imprimés sur papier recyclé ?

PL : Parce qu’il y a une pénurie ! Le livre ne représente que 6 % du papier en France, et 15 % d’entre eux sont recyclés… Par ailleurs, ce papier recyclé est mieux revalorisé dans du carton ou des journaux, car il ne permet pas de produire tous les types de papier nécessaires à l’édition. Un magazine est imprimé sur le même papier toute l’année, tandis que chaque collection de livres est différente. Le papier « trace de bois » bouffant du format poche, ou le papier couché 70 grammes des manuels scolaires, qui permet de limiter le poids et d’obtenir une belle qualité d’impression, ne peuvent pas être fabriqués à partir de papier recyclé. En effet, la fibre de cellulose a déjà été imprimée, façonnée, chauffée, et ne réagit plus de la même façon. Le papier est ainsi recyclable cinq à huit fois ; au-delà, la fibre est trop abîmée.

CG : Finalement, quels modes de production faudrait-il adopter pour rendre le livre « éco-responsable » ?

PL : Pour moi, le livre éco-conçu, c’est celui qui sera lu et relu. On a beau faire tous nos efforts sur la fabrication, s’il va à la poubelle directement, ce n’est pas écologique. Il faudrait donc s’attaquer au problème de fond de la surpublication. L’édition française publie environ 44 000 nouveautés chaque année, tout en rééditant les titres du patrimoine. Les nouveautés s’ajoutent chaque année au fonds qui sera réédité. Mécaniquement, sur ce marché, chaque livre dégage un chiffre d’affaires moindre en proportion de l’ensemble. Or, toute la chaîne du livre est rémunérée au pourcentage…

CG : La vente d’occasion semble idéale sur le plan écologique. Mais en termes économiques, permet-elle de faire vivre la filière du livre ?

PL : Elle pose des problèmes de répartition de la valeur. Un roman ainsi revendu ne rapporte aucun droit à l’auteur ni à l’éditeur. Or, pour continuer à publier des livres, et pour rémunérer tous les maillons de la chaîne du livre, il faut en vendre… C’est pour cette raison que nous pilonnons les invendus plutôt que de les donner. Pour autant, le pilon reste une voie de dernier recours. C’est toujours un gâchis et une perte sèche pour l’éditeur, qui a payé un papetier, un imprimeur, le transport.

Pour continuer à publier des livres, et pour rémunérer tous les maillons de la chaîne du livre, il faut en vendre… C’est pour cette raison que nous pilonnons les invendus plutôt que de les donner

CG : Quelle est selon vous la part de responsabilité du lecteur dans l’empreinte écologique du livre ?

PL : Dans notre monde d’instantané, tout s’accélère pour avoir accès immédiatement à notre caprice. Ai-je vraiment besoin de L’Assommoir sous 24 heures, livré par une camionnette polluante et à moitié vide ? Cela relève-t-il vraiment de l’urgence ? Aujourd’hui, les cartons de livraison sont remplis à 43 % de vide. Ce transport mondial du vide équivaut à la consommation annuelle de CO2 de la Belgique. En tant que consommateurs, nous pouvons faire des choix plus responsables. En allant par exemple commander le livre en librairie, pour recevoir des conseils et créer du lien social.

« Les cartons de livraison sont remplis à 43 % de vide. Ce transport mondial du vide équivaut à la consommation annuelle de CO2 de la Belgique »

PROPOS RECUEILLIS ET MIS EN FORME PAR CHRISTELLE GOMBERT

Pour aller plus loin :

Pascal Lenoir

Président de la commission Environnement du Syndicat National de l’Édition (SNE)
Actuellement directeur de la production des éditions Gallimard, Pascal Lenoir préside différentes instances techniques dont la commission Environnement et fabrication du SNE depuis sa création, la compagnie des chefs de fabrication des industries graphiques et ClicEDIt. Son parcours est celui d’un technicien manager passant par l’imprimerie, la presse magazine, la communication et l’édition ce après des études à l’École Estienne.


Références

  • 1
    Forest Stewardship Council (Conseil de Soutien de la Forêt).