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Télé-réalité : ce qui attire les ados

Si les jeunes regardent de moins en moins la télévision, la télé-réalité les séduit toujours. Le succès de ces histoires d’amour et de trahison reflète les besoins des ados : s’identifier, se projeter, socialiser. Pour autant, les jeunes ne sont pas dupes. Ils évaluent constamment la sincérité des candidats. Mais en matière de télé-réalité, distinguer le réel de la fiction demeure complexe.

Au centre des conversations

Nathalie Nadaud-Albertini, sociologue spécialiste de la télé-réalité, n’a jamais rencontré de jeunes qui ne connaissent pas du tout la télé-réalité. « Même ceux qui se disent non intéressés le justifient par des arguments assez précis pour prouver qu’ils ont visionné des émissions », affirme-t-elle. Pourquoi est-ce qu’autant d’adolescents regardent la télé-réalité ? La réponse est dans la question : tout le monde regarde. « C’est un peu comme Le Grand Journal quand j’étais jeune, explique la chercheuse. Le lendemain, le programme allait être sur toutes les lèvres. Pour participer aux discussions, il fallait l’avoir vu ». De même, dans les cours des collèges et des lycées, mieux vaut connaître les références à l’émission de la veille, ou les expressions fétiches des candidats stars, sous peine d’être exclu des conversations.

Un miroir pour son avenir amoureux

D’autant qu’à cet âge, la question des relations est primordiale. Notamment celle des rapports amoureux, particulièrement prégnants dans la télé-réalité. « Les jeunes sont très réceptifs aux thématiques comme l’amour, la séduction, la sexualité. La télé-réalité est l’un des éléments à l’aune desquels ils évaluent leurs propres relations », selon la sociologue. Bien sûr, il est ici question d’une certaine forme de télé-réalité. Façonnée pour le 13-20 ans, elle est « centrée sur les histoires d’amour, d’amitié et d’inimitié. Bref, tout ce qui ressemble à une cour de collège ». Certaines émissions visent aussi les plus âgés. C’est le cas de La Villa des cœurs brisés, où des trentenaires ayant essuyé des échecs amoureux tentent de trouver l’âme sœur avec l’aide d’une love coach. D’abord adressé à de jeunes adultes célibataires, le programme est également regardé par les adolescents : « même s’ils n’ont pas encore vécu en couple, ils pensent à l’avenir et se projettent dans les situations des candidats ».

Dans La Villa des cœurs brisés (TF1), des trentenaires célibataires cherchent l’âme sœur avec l’aide d’une love coach.

Les adultes n’en ont pas toujours conscience, mais ils consomment eux aussi de la télé-réalité à haute dose.

Sincères ou manipulateurs ?

Les adolescents croient-ils alors que tous les candidats sont sincères, et leurs relations authentiques ? Pour N. Nadaud-Albertini, difficile d’estimer la mesure de confiance et de doute des jeunes face à la télé-réalité. « Ils ne sont pas toujours dans le même état d’esprit, analyse-t-elle. Parfois ils adhèrent, parfois ils se moquent. Mais cela dépend aussi de l’interlocuteur. Face à un adulte réticent, ils adoptent eux aussi une position critique. Ils ont intégré le fait que la télé-réalité est mal perçue et modulent leur discours selon le regard des autres ». Au-delà de ces postures, les adolescents ne sont pas naïfs et savent que les candidats utilisent les émissions comme des tremplins pour se vendre auprès des marques. « Sachant cela, les ados évaluent la sincérité des candidats. Ils ont un avis assez tranché sur les répliques dites sincèrement, et celles dites « pour la caméra », « pour avoir des minutes d’antenne ». Ce qui les arrange bien lorsqu’un candidat qu’ils apprécient sort une énormité ». Sans nier les stratégies de visibilité, les ados perçoivent comme moins manipulateur un candidat qu’ils apprécient. Le mode affectif et identificatoire est donc sans cesse en balance avec l’analyse rationnelle du discours. Mais dans la grande majorité les cas, les jeunes ont bel et bien conscience de regarder une émission construite, où réel et théâtralité s’entremêlent.

De la télé à Snapchat : de plus en plus proches

Comme tous les fans, certains jeunes se sentent très proches des candidats qu’ils préfèrent. Or la télé-réalité est particulièrement propice à ce phénomène. « Quand les candidats sont à la télévision, ils sont loin, comme sur une scène, explique N. Nadaud-Albertini. Lorsqu’ils sortent de l’émission et arrivent sur les réseaux, on peut consulter leurs posts Instagram ou Snapchat depuis son portable. Le portable est un objet intime, qu’on a toujours sur soi, presque une extension de soi ». C’est ainsi que les candidats entrent dans l’intimité des ados. Néanmoins, cette proximité reste factice, et la prise de conscience peut être douloureuse pour les jeunes. « Quand ils n’obtiennent pas de réponse sur un réseau social, ils sont choqués ou déçus. C’est alors que revient dans leur discours la notion de fiction ou de récit : ‟untel n’est pas sincère, il joue un rôle” ». Lorsque la personne déçoit, le masque du personnage prend tout son sens. Surtout quand les candidats eux-mêmes se positionnent comme des personnages de fiction. Une approche nécessaire pour faire partie de l’intrigue et intéresser la production. C’est ce qu’écrit Nabilla Benattia dans son livre, Trop vite (Michel Lafon, 2016), que cite la sociologue : « Être plat est le summum de l’angoisse en télé-réalité. […] Je m’éclatais à pousser mon personnage, à créer des situations fantaisistes ». Il devient alors aussi difficile pour les spectateurs que pour les candidats de démêler leur personnalité de leur personnage.

Et les adultes ?

Les adultes n’en ont pas toujours conscience, mais ils consomment eux aussi de la télé-réalité à haute dose. Koh-Lanta, Top Chef, Déco, Pékin Express : autant d’émissions que N. Nadaud-Albertini décrit comme « acceptables. Quand on ajoute aux intrigues relationnelles de l’aventure, de la cuisine, de la mode, on s’adresse plutôt aux adultes. Ce que les adultes méprisaient dans Le Loft, c’était que les candidats ne fassent rien. On a donc imaginé des émissions dans lesquelles les candidats font, en plus d’être ». Le programme devient plus consensuel en ayant une valeur pédagogique, puisque le spectateur a l’impression d’apprendre quelque chose. Un constat que la sociologue résume ainsi : « les adultes sont plus réceptifs au faire, les jeunes au mode identitaire et relationnel ».