Posté le

Entretien avec Karine Van Wormhoudt (Albin Michel), lancement de « Litt' »

Rentrée 2015, alors que « Wiz » redéfinit ses contours, « Litt’», la nouvelle collection d’Albin Michel Jeunesse, publie ses deux premiers titres : des  livres de « qualité écrits par des auteurs français, sans être élitistes ».

Sonia de Leusse-Le Guillou : Karine Van Wormhoudt, « Wiz »propose déjà des textes de genres très différents aux adolescents, pourquoi avoir voulu créer une nouvelle collection ?

Karine Van Wormhoudt : Pourquoi « Litt’ » et surtout pourquoi le roman français chez Albin Michel Jeunesse ? C’est, à l’origine, une vraie volonté de Marion Jablonski qui constatait qu’Albin Michel jeunesse avait à son catalogue de grands auteurs français en albums mais peu en romans pour adolescents. De plus, sur les foires internationales, elle a pu observer une espèce de creux de la vague après toutes les années pendant lesquelles les vampires et la dystopie ont tenu le haut du pavé. Il y avait donc de la place pour que d’autres textes, avec une vraie sensibilité d’auteurs français, viennent prendre le relai. Quand nous nous sommes rencontrées Marion et moi, nous avons décidé de tenter l’aventure des romans français pour adolescents, mais aussi de publier des séries pour les 8-12 ans. Travailler les séries est quelque chose que j’aime faire car je trouve cela très gratifiant pour l’auteur, pour l’éditeur et pour le lecteur. La série ancre notamment les jeunes « moyens lecteurs » dans la lecture, en leur permettant de suivre un fil et de les fidéliser plus longtemps. Les 13 ans et + sont une tranche d’âge que j’apprécie beaucoup également parce qu’il s’agit des lecteurs qui restent, justement.

SLG : Vous faites référence à ceux qui ne délaissent pas l’activité à l’adolescence.

KVW : Oui, je pense à ceux que l’on n’a pas perdus à l’entrée en sixième, où se situe souvent le décrochage. Nous avons un vivier de bons lecteurs que nous ne devons cependant pas effrayer avec une offre manifestement trop différente de celle qu’ils ont l’habitude de voir sur les tables des librairies, recouvertes de couvertures noires ou de vampires. C’est un beau challenge ! Notre objectif est de publier des textes de qualité écrits par des auteurs français, sans être élitistes. J’ai donc d’abord essayé de travailler mon réseau pour voir par quoi je pouvais commencer. Marion Jablonski et moi avons été immédiatement séduites par le texte de Fabrice Colin1Le Pays qui te ressemble, Litt’, septembre 2015. et par celui d’Audren2Wild girl, Litt’, septembre 2015., qui nous semblent bien incarner la collection « Litt’ » : ce sont de beaux textes un peu à part dans la production de masse – en tout cas des best-sellers actuels. Cela nous permettait de lancer une collection bien distincte de « Wiz », puisqu’évidemment, Shaine Cassim va continuer son formidable travail en suivant les auteurs de talent étrangers et les problématiques des mondes imaginaires. Le Pays qui te ressemble est une quête initiatique, un road trip avec des adolescents intelligents et sensibles qui sortent d’une période noire, de deuil. En même temps, dans ce roman on a un grain de folie, de l’aventure ! Avec Fabrice Colin, nous voulions un texte presque cinématographique, une ambiance à la Little Miss Sunshine3Little Miss Sunshine est un film américain de Jonathan Dayton et Valerie Faris, sorti en 2006., et je trouve qu’il y est bien arrivé, avec ce récit un peu poétique et complètement fou.

Je voulais que les lecteurs aient le sentiment d’avoir grandi à la lecture des romans de «Litt’».

SLG : Lui avez-vous commandé ce récit ou vous a-t-il proposé un manuscrit qu’il avait déjà ?

KVW : J’avais déjà travaillé avec Fabrice Colin. Je lui ai parlé de « Litt’ », de ce que j’imaginais pour la collection, loin des textes de science-fiction avec, au contraire, des récits au plus proche des problématiques des adolescents, de leur ressenti. Je voulais que les lecteurs aient le sentiment d’avoir grandi à la lecture des romans de « Litt’ », qu’ils se disent que c’était comme ça dans la vie parfois, que peut-être eux-mêmes seraient amenés à expérimenter ce type d’expérience et qu’ils sauraient comment les affronter. Fabrice Colin avait depuis longtemps une idée qu’il n’avait pas eu le temps de travailler et il voulait justement écrire un livre hors des mondes de l’imaginaire. Il m’a donc raconté le pitch de ce qui deviendrait Le Pays qui te ressemble. Nous en avons parlé pendant une heure ou deux, puis, trois mois plus tard, je recevais le texte que je trouvais formidable. Audren, au contraire, avait déjà écrit Wild Girl. Je l’ai contactée pour la rencontrer et c’est à cette occasion qu’elle m’a proposé son roman. Je l’ai lu et j’ai trouvé qu’il correspondait bien à ce que je voulais faire de « Litt’ », parce que l’héroïne de 19 ans a envie de liberté. Elle est dans un questionnement ; elle se demande si c’est le bon moment pour quitter tout ce qui la rassure, tout ce qu’elle connaît, pour foncer vers une vie aventureuse mais forcément plus dangereuse. Or, tous ces risques, toutes ces interrogations, se posent, à mon avis, à beaucoup d’adolescents. Je trouve que cela inspire et que c’est jouissif de vivre les aventures de cette jeune femme en 1867. Le récit est très moderne. Nous avions donc deux manuscrits pour ouvrir « Litt’ » et avons opté pour des couvertures très différentes pour les distinguer. Avec sa photo, celle de Wild Girl reste dans les codes adolescents habituels, c’était rassurant pour l’éditeur comme pour le lecteur. Je travaille beaucoup avec des adolescents, des bêta-lecteurs…

SLG : Vos premiers comités – en dehors des professionnels – sont-ils constitués d’adolescents ?

KVW : Oui, tout à fait. J’ai mon propre échantillon de jeunes que j’aime interroger. Nous avions essayé de nombreuses couvertures pour Wild Girl. Beaucoup d’adolescentes ont choisi cette couverture très actuelle, qui me semblait intéressante par son contraste avec l’époque où se déroule l’intrigue. Le roman d’Audren est un livre qui plaira plus aux filles : même si on espère toujours toucher autant les garçons que les filles, nous savions que ce serait difficilement le cas d’un roman ayant pour sujet une jeune femme de 19 ans institutrice et amoureuse, et nous avons décidé de l’assumer dans le choix de la photo de couverture. On ne voit pas forcément que l’histoire se passe en 1867, ce qui est bien car sinon une partie des lectrices ne prendraient pas en mains le roman. Pour Le Pays qui te ressemble, cela a été moins évident.

SLG : Parce qu’il s’agissait d’un travail graphique…

KVW : Ce texte-là pouvait plus facilement plaire aux garçons autant qu’aux filles. Nous avons pensé qu’avec les photos que nous avions présélectionnées pour l’illustrer, les garçons allaient s’en détacher, c’est la raison pour laquelle nous avons essayé une illustration qui fasse affiche de ciné, avec un brin de folie, et c’est effectivement la couverture qui a le plus plu aux garçons que j’ai interrogés.

SLG : Les deux couvertures traduisent bien les ambiances des deux récits.

KVW : Elles sont très proches des contenus. La charte graphique est composée du logo « Litt’ »et du bandeau qui donnent la patte graphique des romans. Nous nous permettrons de faire des couvertures à chaque fois au plus proche de l’identité du livre. Il y aura donc des visuels très différents, des fonds de couleur, parfois des tableaux… Nous verrons. Et je continuerai à travailler avec des adolescents.

SLG : Qui sont ces jeunes : des bloggeurs, des leaders d’opinion sur internet, des élèves ?

KVW : J’ai rencontré une professeure de collège et de lycée, l’année dernière, que l’édition faisait rêver. Cette enseignante, qui avait un groupe de lecture au moment de la pause déjeuner, ne savait pas toujours quoi lui donner à lire. Je lui ai proposé une collaboration : je lui envoie donc des textes. Elle travaille dessus avec ses classes de sixième, quatrième et seconde, en fonction de ce que je lui soumets. Les élèves font des fiches de lecture, des commentaires sur les couvertures. C’est un échange formidable. Et les jeunes sont motivés par la découverte du fonctionnement du métier.

SLG : Ils ont l’impression d’être vraiment acteurs.

KVW : Absolument. C’est galvanisant de travailler comme cela et j’ai un retour de cible, de lecteurs que j’ai envie de toucher.

SLG : Ce qui est finalement assez rare…

KVW : Oui. Et il y a des garçons, des filles.

SLG : Ces jeunes sont-ils volontaires ?

KVW : Ils le sont, ils ont envie, sans pour autant être forcément de forts lecteurs c’est ce qui est intéressant. Il y a quand même 2/3 ou 3/4 de filles et le reste de garçons. J’avais donc cet échantillon-là, avec entre 6 et 8 lecteurs selon les groupes de classe. En parallèle, je reçois des lettres de jeunes qui ont envie de lire des manuscrits, et je fais lire aussi les enfants de mes amis, qui connaissent mon métier et m’ont proposé leurs services. Je pioche donc dans ces groupes selon ce que j’ai à faire lire. J’ai des retours qui ne sont pas toujours positifs… heureusement !

SLG : Etes-vous parfois étonnée ou déroutée par certaines remarques ?

KVW : Etonnée, oui, vraiment, mais je ne suis pas déroutée, je suis épatée parce que c’est souvent juste. Et cela me conforte, lorsque j’ai des hésitations, quand des éléments sont pour eux une évidence, parce qu’ils sont du côté du lecteur et n’ont pas à mesurer le risque qu’il y a à publier un livre – qui peut être paralysant. Ils ont seulement le plaisir de la lecture et de ce qu’ils ont aimé (ou pas). Ce premier degré dans le plaisir est primordial. Comme nous ne nous connaissons pas nécessairement, ils ne cherchent pas à me contenter. Bien sûr, comme ils travaillent avec une éditrice pendant un an, ils ont envie de faire des critiques positives mais ils ne se gênent pas pour dire des choses négatives.

SLG : Ce point de vue peut être très différent du vôtre, en tant qu’éditrice.

KVW : Complètement. S’il y a vraiment eu un consensus sur la couverture de Wild Girl, en revanche, cela n’a pas été le cas pour celle du Pays qui te ressemble, que les filles aimaient moins. J’ai suivi l’avis des garçons, que je sentais que je pouvais toucher sans perdre les filles, et j’ai sollicité les libraires que je rencontre, par exemple à la réunion de libraires de fin d’année d’Albin Michel, pour avoir également leur avis sur cette couverture. D’ailleurs à cette occasion certains m’ont dit qu’ils aimeraient bien recevoir des éléments un petit peu en amont sur les livres à venir, que ça les intéressait. Alors, chaque fois que je sens un intérêt de leur part, je leur propose de leur envoyer les textes. J’interroge aussi autant que possible les bibliothécaires. Ce retour de professionnels m’est précieux parce qu’ils connaissent leur table bien mieux que moi, qui suis quand même dans la bulle Albin Michel. J’essaie de lire tout ce que je peux chez les concurrents mais je n’en ai pas forcément le temps. Eux peuvent me dire tout de suite si un livre à sa place sur telle ou telle table, si le sujet est trop vu, etc. Entre mes adolescents et les professionnels, ces retours me permettent d’être convaincante face aux représentants et de savoir exactement où me situer ou comment positionner un livre. Parfois, quand je sens que je fais fausse route, j’arrête.

SLG : En lisant les deux premiers titres de « Litt’ », j’ai eu le sentiment que l’un était positionné du côté du style tandis que dans l’autre, dominait la machinerie d’un page turner, mais à la française. Le pays qui te ressemble, comme le montre sa couverture, est éclaté et dans l’action en permanence. Plus posé, Wild girl cherche à rendre sur un ton léger des émotions distillées dans le corps du récit sans tomber dans la mièvrerie.

KVW : L’objectif premier était en effet d’éviter la mièvrerie. Nous avons coupé un peu quand cela a été nécessaire pour laisser parler le style d’Audren, qui est très forte pour entraîner le lecteur. En terminant le livre, j’avais envie de savoir la suite : on s’attache au personnage de Milly Burnett, il y a une vraie émotion qui monte au fur et à mesure. On voit évoluer, grandir, cette jeune femme à qui il arrive des événements éprouvants. Elle garde sa fraîcheur, mais en même temps, le lecteur découvre et éprouve avec elle ses doutes ; or cet aspect est très important pour moi. A la fin, elle n’est plus tout à fait la même.

SLG : C’est un parcours initiatique…

KVW : … qui se passe sur une année, avec un immense changement de vie. Dans Le Pays qui te ressemble, on a aussi une quête initiatique. Pour moi, Fabrice Colin est aussi dans le registre de l’émotion, qu’il fait passer grâce au cynisme et à l’humour. Les personnages se reconstruisent en famille, ils se retrouvent. Le plus important, comme le dit Lucy dans le livre, c’est moins le but du voyage que le voyage en lui-même. C’est ce que j’ai ressenti à la lecture. La chute aurait pu être différente, peu importe. Les adolescents sont habitués à zapper et le roman de Fabrice Colin est un zapping d’émotions, de lieux, de moyens de transport, de mères…

SLG : Le rythme se veut cinématographique, très rapide.

KVW : Exactement, il correspond à ce que les jeunes voient au cinéma, à leurs modes de communication. Je trouvais le texte très moderne en ce sens-là. Il m’a tout de suite fait penser à un film. Little Miss Sunshine était vraiment la référence de Fabrice Colin même s’il s’en est détaché. C’est la raison pour laquelle nous avions une affiche de cinéma en tête pour la couverture.

Je diris que nous cherchions à lancer une collection de littérature qui soit accessible.

SLG : Vous évoquiez la production, voire la surproduction, en littérature ado, et lui opposez « Litt’ », une estampille qui promeut des textes français de qualité. Vous positionnez votre collection du côté du texte, comme si les littératures de l’imaginaire restaient en dehors de ce champ de la littérature. Par ailleurs, une offre éditoriale française à destination des adolescents existe déjà, comme celle de Doado au Rouergue, par exemple. Comment situez-vous votre collection par rapport à Wiz, et par rapport à ces textes de différentes maisons qui suivent des écrivains français ?

KVW : Pour vous répondre par rapport à la création de « Litt’ », je dirais que nous cherchions à lancer une collection de littérature qui soit accessible. C’est la raison pour laquelle nous avons raccourci le terme littérature en « Litt’ ». Nous voulions être, proches des adolescents. Nous voulions également faire sentir une continuité avec les noms courts des autres collections de romans chez Albin Michel Jeunesse telles que « Wiz » ou « Witty ». Pour moi, Shaine Cassim publie des textes de littérature. Il suffit de lire Tornade4Jennifer Brown, Tornade, Albin Michel, Wiz, 2015., Conversion5Katherine Howe, Conversion, Albin Michel, 2015. ou les textes de Neil Gaiman. Elle développe un pan de littérature importante avec une machinerie souvent anglo-saxonne. L’idée n’est pas de positionner les textes de « Litt’ » par rapport à ceux de « Wiz ». Shaine Cassim a un savoir que je n’ai pas pour publier des littératures de l’imaginaire. Peut-être serais-je un jour amenée à publier des textes dans cette veine, mais pour le moment, c’est elle la spécialiste. Par ailleurs, il y a effectivement de nombreuses collections chez d’autres éditeurs que j’admire comme Doado…  « Litt’ » était un clin d’œil pour dire qu’on allait essayer d’être dans la lignée de ces grandes collections de littérature que nous aimons, chez Gallimard, au Rouergue, chez Nathan, à L’école des loisirs aussi, dont j’estime beaucoup le travail…

SLG : Vous vouliez publier des textes « accessibles ». Votre spécificité serait donc de toucher des adolescents qui ne sont pas forcément de « gros lecteurs ».

KVW : Si nous le pouvons, nous aimerions le faire. Nous savons cependant que nous nous adresserons plutôt à de bons lecteurs, mais si nous pouvons en récupérer quelques-uns, le plus possible, nous serons contents, du moment que l’on garde la qualité littéraire, à mes yeux primordiale. Quand j’étais jeune (j’ai 43 ans), il n’y avait pas tellement de littérature ado. On passait du Club des 5 à Balzac, si je caricature. Il existait peu de romans intermédiaires. J’ai découvert des auteurs et cette littérature en travaillant. Notre idée était de faire de beaux textes tout en s’adressant au plus grand nombre de lecteurs possible, parce que la littérature le mérite, et les textes aussi. Et puis, de trop nombreux lecteurs abandonnent la lecture à l’adolescence. C’est tellement dommage ! Un texte comme Wild Girl est extrêmement accessible et peut plaire à des filles de 11 ans bonnes lectrices comme à des jeunes filles de 15/16 ans. Nous ratissons large, mais dans le bon sens du terme.

SLG : La collection s’adresse donc aussi aux préadolescents ?

KVW : « Litt’ » vise normalement les 13 ans et plus. C’est notre cible principale parce qu’il en faut une et que le nombre de pages des « Litt’ » correspond à ce que sont capables de lire les collégiens et les lycéens. De plus, nos héros et héroïnes vont tous avoir à peu près 15 ans ou plus.

SLG : Est-ce une des contraintes d’écriture de la collection ?

KVW : Pour commencer, oui, c’était une de mes contraintes, parce qu’il faut bien en avoir quand même pour délimiter les contours d’une nouvelle collection. Je voulais être dans un univers proche des adolescents, de leurs préoccupations – la vie, la mort, le deuil, l’envie d’apprendre, la puberté, comment on se transforme. Le personnage de Milly est une amoureuse ; c’est le corps qui parle. Quand j’ai discuté avec Fabrice, Audren – et avec tous ceux que je rencontre actuellement – , c’était vraiment cela que j’envisageais : le cœur de la psychologie adolescente, avec des univers quotidiens, ce qui est le cas de Wild Girl même si nous sommes en 1867. Et je souhaitais des personnages un peu plus âgés ou de l’âge de ceux qui allaient lire les livres pour que cela leur permette de se projeter. On sait que quand un enfant ou un adolescent lit un livre, c’est plus facile pour lui d’accrocher s’il est un peu plus jeune que le personnage dont il suit l’histoire. Il peut s’imaginer plus grand, vivre les aventures avant qu’elles ne lui arrivent réellement dans la vie deux, trois, quatre ans plus tard.

SLG : Aviez-vous, au départ, des contraintes de forme, avec une voie narrative spécifique ?

KVW : Non, à part que je n’avais pas envie de monologue intimiste, enfermant. Certains le font très bien. Je sais qu’il y a des textes effectivement de l’urgence, où le lecteur est enfermé dans la tête d’un adolescent pendant 100, 200 ou 300 pages. Je préférais des personnages nombreux, qu’on puisse raconter une histoire, et non pas juste une sensation ou une douleur. Je ne voulais pas de récits qui restent uniquement dans l’introspection, même si j’ai reçu pas mal de manuscrits de ce type. Peut-être en ferai-je plus tard, quand « Litt’ » sera installée, mais pas au début, alors que cela restreint. J’avais également reçu un très beau texte, mais sur une histoire particulièrement triste. Or je ne voulais pas que mes premiers livres le soient parce que cela marque une collection. Ce sont des perspectives que l’on peut avoir par la suite…

SLG : … quand l’esprit de la collection a été compris par les lecteurs.

KVW : Voilà. Les prérogatives de départ étaient d’être ni uniquement introspectif, ni trop larmoyant, ni trop douloureux. Je trouve qu’il y a une joie dans les textes d’Audren et de Fabrice Colin, un élan vital. C’est très important à l’adolescence. Certes, il y a des adolescents qui vont mal mais un grand nombre d’entre eux vont bien. L’adolescence est un moment charnière, les ados se transforment peu à peu en adultes, se projettent dans une vie adulte qu’ils espèrent formidable, on doit leur montrer que ça va être le cas, qu’on peut tous trouver notre bonheur malgré les difficultés de la vie. Je souhaitais que cet élan se ressente dans les textes.

SLG : Vous disiez tout à l’heure que, pour le moment, vous ne publieriez pas de texte d’imagination. Est-ce à dire que c’est envisageable par la suite ?

KVW : Ça l’est, parce que l’histoire est un prétexte. Les notions de générosité, de dépassement de soi, d’amitié, qui sont primordiales à l’adolescence, se retrouvent dans n’importe quel cadre, sur la planète Mars comme ici. Si le livre comporte ces ingrédients-là dans un contexte intéressant et sans être répétitif par rapport à tout ce qu’on a lu, c’est possible.

SLG : Combien de livres allez-vous publier par an ?

KVW : 4 pour commencer, 6 maximum ; nous n’allons pas inonder le marché. Il nous faut donc des titres que nous aurons vraiment envie de défendre et auxquels nous croyons beaucoup. C’est un contexte difficile, dominé par les Anglo-saxons. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de travailler au départ avec deux pointures, Audren et Fabrice Colin. En 2016, je poursuis la collaboration avec des auteurs reconnus mais je commencerai ensuite à ouvrir. Albin Michel est une maison historique ; il fallait qu’il y ait des auteurs français. De la même façon, nous devrons découvrir des talents. C’est l’étape suivante.

Propos recueillis et mis en forme par Sonia de Leusse-Le Guillou, directrice de Lecture Jeunesse, en juillet 2015.

Karine Van Wormhoudt

Diplômée en Littérature (DEA), Karine Van Wormhoudt a travaillé 7 ans aux éditions De la Martinière Jeunesse, puis 10 ans aux éditions Playbac où elle a notamment lancé la série des Kinra Girls écrite par Moka. Elle a rejoint Albin Michel jeunesse en avril 2014, où elle est responsable du développement des romans jeunesse et ado dans le domaine français.

Le pays qui te ressemble, Fabrice Colin
Wild Girl, Audren

Références

  • 1
    Le Pays qui te ressemble, Litt’, septembre 2015.
  • 2
    Wild girl, Litt’, septembre 2015.
  • 3
    Little Miss Sunshine est un film américain de Jonathan Dayton et Valerie Faris, sorti en 2006.
  • 4
    Jennifer Brown, Tornade, Albin Michel, Wiz, 2015.
  • 5
    Katherine Howe, Conversion, Albin Michel, 2015.