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Jeu vidéo : une histoire à succès

Que ce soit sur ordinateur ou sur console, sur smartphone ou sur tablette, presque tous les adolescents s’adonnent régulièrement à la pratique des jeux vidéo. D’après une étude CNC1TNS Soffres/CNC, « Les pratiques de consommation de jeux vidéo des Français», septembre 2013. Voir : http://www.cnc.fr/web/fr/etudes/-/ressources/4117616;jsessionid=F010FC68A0B552B3E930E9EA8FF6CC00.liferay, 79,5 % des jeunes de 15 à 24 ans déclarent y jouer. La croissance de cette industrie a longtemps reposé sur la conquête du public adolescent, plus particulièrement masculin. Revenons sur son histoire.

Quelques éléments historiques

L’un des tout premiers jeux vidéo, Spacewar!, a été conçu en 1962 par Steve Russel, un élève ingénieur du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT), membre du mouvement « hacker ». A l’époque, cette dénomination n’avait pas de connotation péjorative2Aujourd’hui, le terme dans son acception la plus globale désigne un pirate informatique (ndlr)., mais désignait des jeunes adultes aimant explorer les possibilités des systèmes informatiques. Croyant en une société utopique de libre échange de l’information, ceux-ci partageaient les mêmes références culturelles, empreintes notamment de science-fiction et d’heroïc fantasy. En ce sens, la conception de Spacewar! s’inscrit tout à fait dans ce contexte. Le jeu n’est pas issu d’un programme de recherche officiel du MIT, mais du détournement de l’usage d’un des supercalculateurs de l’institut. Il s’agissait pour Steve Russel de réaliser le « hack ultime » en réussissant à développer un jeu sur ce genre de machine. Celui-ci propose à deux joueurs de s’affronter dans le vide intersidéral, par le biais de deux vaisseaux spatiaux. Très vite, Spacewar! est diffusé gratuitement dans les campus américains disposant de ce genre de machines et rencontre un vif succès auprès des étudiants ingénieurs.

L’un d’eux, Nolan Bushnell, a l’idée d’en tirer profit en développant une machine avec monnayeur. En 1971, 1 500 exemplaires sont produits et installés essentiellement dans les bars, mais le succès n’est pas au rendez-vous. La machine est difficile à prendre en main et ce qui convenait à des étudiants férus de technologie ne correspondait pas aux attentes de divertissement du public des cafés. Nolan Bushnell fonde donc une nouvelle société, Atari, en 1972 et produit l’année suivante un jeu qui marquera la naissance économique de l’industrie : Pong. Celui-ci remporte un succès conséquent dans les bars et les salles d’arcade. De même, une déclinaison de salon (se branchant au téléviseur) est lancée quelques années plus tard3Cette version est proposée à partir de 1975 (ndlr).. Alors qu’Atari fut fondée avec un capital de 500 dollars, la société affiche un chiffre d’affaires de 3,2 millions de dollars en 1974, puis 40 millions en 1976, ce qui en fait, à l’époque, la compagnie à la croissance la plus rapide de l’histoire des Etats-Unis ! Les thématiques étaient cependant principalement destinées à séduire le public qui avait permis cet envol : celui des bars et des salles de jeux, essentiellement masculin4Il faut aussi noter que les développeurs de l’époque étaient surtout des jeunes hommes, étudiants, voire lycéens.. Des jeux de sport, de conquêtes et de combats sont donc produits, ces sujets ayant, de plus, l’avantage de s’accorder au contexte d’usage dominant qui imposait des parties rapides. Plus les parties étaient courtes et faciles à prendre en main, plus les pièces tombaient dans le monnayeur des gérants de bistrots… Ce succès attisa beaucoup de convoitises et de nombreuses marques de machines furent lancées sur le marché, la plupart proposant des déclinaisons des mêmes jeux (on trouve un nombre incalculable de copies de Pong).

Aucune réflexion n’est alors menée sur ce qui constitue la qualité du jeu. Au début des années 1980, le marché arrive à saturation. En 1983, les revenus d’Atari (qui avait jusque-là le quasi-monopole des consoles de salon) sont en chute de près de 40 % et beaucoup d’analystes considèrent que les jeux vidéo n’étaient qu’un phénomène de mode. La reprise économique se fait avec l’arrivée d’une firme japonaise, connue jusqu’alors pour ses jeux de cartes : Nintendo5Fondée en 1889 par Fusajiro Yamauchi pour la fabrication de cartes à jouer, Nintendo étend son activité aux jeux en 1963 et se lance dans le jeu vidéo dans les années 1970, avant de connaître un essor considérable dans les années 1980 (ndlr).. Celle-ci va tout d’abord révolutionner le modèle économique en vigueur : la nouvelle console de salon de Nintendo, la « NES6La console porte d’abord le nom de « VS System », avant d’être renommée lors de sa sortie mondiale « Nintendo Entertainment System (NES) » (ndlr). », est vendue à prix coûtant (ce qui n’était pas le cas des autres consoles). Les éditeurs qui développent pour cette machine doivent toutefois reverser des royalties au constructeur. Les innovations technologiques sont aussi conséquentes : manette de jeu révolutionnaire (joypad), nombre de couleurs à l’écran au-dessus des concurrents. Mais Nintendo va surtout engager une véritable réflexion sur ce qui fait la particularité et la qualité d’un jeu vidéo en tant que produit de loisir. Les références culturelles se détachent aussi des thématiques guerrières et trop masculines qui primaient alors (comme le montre la série des Super Mario Bros).

Elles sont cependant en grande partie empreintes de contes et légendes fantastiques, qui occupaient l’imaginaire du public cible (il suffit de considérer le cas d’une autre série à succès de l’entreprise, The Legend of Zelda7Février 1986 (ndlr).), celui-ci restant encore essentiellement composé d’adolescents. Si Nintendo reprend le flambeau du monopole des consoles de salon, un concurrent, Sega, va rapidement essayer de remettre en cause cette situation à la fin des années 1980. Cette firme tenta alors de s’imposer auprès des 14-17 ans, en donnant à Nintendo une image infantile et en tablant sur des messages aux connotations violentes, renouant avec les thématiques dominantes des années 1970. Ce combat s’achève plusieurs années plus tard par la cessation d’activité de Sega8Suite à l’échec commercial de ses consoles de salon, Sega cesse ses activités de fabrication en 2001 pour se concentrer exclusivement sur le développement de jeux (ndlr). en tant que constructeur de consoles et l’affaiblissement de Nintendo, qui laisse place libre à Sony9Sony entre sur le marché du jeu vidéo en 1991 et produit la Playstation à partir de 1994 (ndlr). et à sa fameuse Playstation, suivi de près par Microsoft et sa Xbox10Lancée en 2001 (ndlr)..

Les jeux plébiscités par les adolescents

Les dix meilleures ventes de jeux sur console dans le monde (Source : VGChartz,2013, maj de la rédaction) :

1. Call of Duty: Modern Warfare 3 (X360), Activision, Shooter ;
2. Call of Duty: Modern Warfare 3 (PS3), Activision, Shooter ;
3. Pokemon (DS), Nintendo, Role-Playing ;
4. Kinect Adventures! (X360), Microsoft Games Studios, Misc ;
5. Just Dance 3 (Wii), Ubisoft, Misc ;
6. Mario Kart Wii (Wii), Nintendo, Racing ;
7. Wii Sports Resort (Wii), Nintendo, Sports ;
8. Wii Sports (Wii), Nintendo, Sports ;
9. Battlefiels 3 (X360), Electronic Arts, Shooter ;
10. Gears of War 3 (X360), Microsoft Game Studios, Shooter.

Le jeu vidéo est aujourd’hui l’une des industries culturelles les plus importantes au monde11En juillet 2013, le Centre national du cinéma et de l’image animée révélait que le chiffre d’affaires de l’industrie du jeu vidéo en France excédait les 2,1 milliards d’euros en 2012, dépassant les chiffres d’affaires du cinéma et de la musique et occupant, de ce point de vue, la place de première industrie culturelle. Voir : http://www.cnc.fr/web/fr/etudes/-/ressources/3823624 (ndlr).. Les cinq dernières années ont été marquées par l’élargissement considérable de la population des joueurs : alors que le jeu vidéo était auparavant réservé à un public initié, jeune et masculin, il s’adresse désormais à tout un chacun, à mesure que l’utilisation des TIC s’est généralisée, que les plates-formes de jeux sont devenues plus nombreuses (PC, console de salon, console portable, téléphone mobile, tablette) et que les constructeurs ont proposé des systèmes de jeux innovants et accessibles à tous (voir le succès de la Wii122006. de Nintendo). Par ailleurs, le développement du mobile, équipement le plus répandu dans le monde, contribue grandement à populariser le jeu vidéo et ce segment est toujours promis à une forte croissance dans les prochaines années. Enfin, le dernier phénomène majeur dans la filière a été l’intrusion d’internet dans le jeu vidéo avec le déploiement massif du jeu en ligne, qui a vu ses revenus croître de manière spectaculaire. L’un de ces jeux ayant remporté un vif succès est le MMORPG13Massively multiplayer online role-playing game (ndlr).

World of Warcraft142004., jeu de rôle en ligne multijoueurs, inspiré d’heroïc fantasy. Ce type de jeux réunit simultanément des milliers de participants se connectant à des « univers persistants », où une partie sans fin se déroule de façon continuelle, que le joueur soit connecté ou non au monde virtuel. Celui-ci est en constante évolution du fait des agissements des autres joueurs présents en ligne, mais aussi grâce aux mises à jour fréquentes apportées par l’équipe de développement, qui modifient l’univers de jeu et parfois ses règles. Ces jeux proposent généralement aux utilisateurs de résoudre des quêtes, de se réunir en guildes, de mener des batailles entre diverses factions, etc. A l’inverse, si l’on veut trouver un jeu emblématique de la diversification des thématiques vidéo-ludiques auprès d’un public adolescent, la série The Sims15Après le lancement du premier jeu en 2000, la sortie du jeu Les Sims 4 est prévue pour l’automne 2014 (ndlr). est certainement celle qui vient le plus rapidement à l’esprit.

Si le concept du jeu, un simulateur de « vie », a déjà été développé de longue date dans les jeux vidéo, il avait toujours été cantonné à un public restreint, essentiellement masculin et passionné de simulations (donc généralement plus âgé). The Sims, en revanche, remporte du succès chez les adolescentes et les jeunes femmes. Il s’agit de s’occuper du quotidien d’un personnage que l’on conçoit, un « sims », avec les contraintes impliquées par le travail, la nécessité de trouver des amis, de fonder une famille, etc. Le rapprochement avec l’univers d’une sitcom que l’on dirigerait peut aisément être établi, avec la possibilité de faire vivre le meilleur comme le pire au héros…

Il est finalement difficile de trouver un nombre restreint de facteurs pouvant expliquer le succès d’un jeu auprès des adolescents. Les contraintes relevant à la fois du marché, de l’évolution des goûts du public, des innovations technologiques, etc., prouvent que les jeux vidéo sont justement un domaine pluriel et complexe : au grand dam des producteurs, il n’y a pas de formule magique du succès. Ceci montre que le jeu vidéo ne se cantonne pas à un artefact technologique ; il touche aussi au domaine social et à la culture, comme d’autres formes d’expression, telles que le cinéma, la bande dessinée ou la musique.

Par Sébastien Genvo, article paru dans la revue Lecture Jeune 133 (mars 2010) et dans la revue Lecture Jeune 149 (mars 2014)

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Sébastien Genvo

Sébastien Genvo est maître de conférences à l’université de Limoges (IUT du Limousin) et membre du Centre de recherches sémiotiques. Avant d’entreprendre un doctorat en sciences de l’information et de la communication, il a notamment été game designer sur le jeu XIII, édité par Ubisoft en 2003.
Pour aller plus loin, consulter le site de l’auteur : www.ludologique.com

Références

  • 1
    TNS Soffres/CNC, « Les pratiques de consommation de jeux vidéo des Français», septembre 2013. Voir : http://www.cnc.fr/web/fr/etudes/-/ressources/4117616;jsessionid=F010FC68A0B552B3E930E9EA8FF6CC00.liferay
  • 2
    Aujourd’hui, le terme dans son acception la plus globale désigne un pirate informatique (ndlr).
  • 3
    Cette version est proposée à partir de 1975 (ndlr).
  • 4
    Il faut aussi noter que les développeurs de l’époque étaient surtout des jeunes hommes, étudiants, voire lycéens.
  • 5
    Fondée en 1889 par Fusajiro Yamauchi pour la fabrication de cartes à jouer, Nintendo étend son activité aux jeux en 1963 et se lance dans le jeu vidéo dans les années 1970, avant de connaître un essor considérable dans les années 1980 (ndlr).
  • 6
    La console porte d’abord le nom de « VS System », avant d’être renommée lors de sa sortie mondiale « Nintendo Entertainment System (NES) » (ndlr).
  • 7
    Février 1986 (ndlr).)
  • 8
    Suite à l’échec commercial de ses consoles de salon, Sega cesse ses activités de fabrication en 2001 pour se concentrer exclusivement sur le développement de jeux (ndlr).
  • 9
    Sony entre sur le marché du jeu vidéo en 1991 et produit la Playstation à partir de 1994 (ndlr).
  • 10
    Lancée en 2001 (ndlr).
  • 11
    En juillet 2013, le Centre national du cinéma et de l’image animée révélait que le chiffre d’affaires de l’industrie du jeu vidéo en France excédait les 2,1 milliards d’euros en 2012, dépassant les chiffres d’affaires du cinéma et de la musique et occupant, de ce point de vue, la place de première industrie culturelle. Voir : http://www.cnc.fr/web/fr/etudes/-/ressources/3823624 (ndlr).
  • 12
    2006.
  • 13
    Massively multiplayer online role-playing game (ndlr).
  • 14
    2004.
  • 15
    Après le lancement du premier jeu en 2000, la sortie du jeu Les Sims 4 est prévue pour l’automne 2014 (ndlr).