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La communication en direction des adolescents dans les bibliothèques

« Pourquoi utiliser les principes du marketing en bibliothèque ? » s’interrogeait Lecture Jeune1Lecture Jeune n°103, Le marketing : un savoir-faire au service de la lecture ?, 2002. dans un dossier dédié en 2002 . Aujourd’hui, les pratiques ont-elles évolué ? Eva Garrouste, qui a réalisé un mémoire sur la communication en direction des adolescents dans les bibliothèques, dresse un état des lieux des modes de communication entre les professionnels et les adolescents.

Les connaissances sociologiques sur les pratiques culturelles des jeunes peuvent servir aux professionnels des bibliothèques dans une grande partie de leurs tâches habituelles en direction du public2Gestion des acquisitions, élaboration d’animations et actions culturelles, accueil et orientation, etc.. Connaître les habitudes de cette tranche d’âge, dans les domaines de l’information et de la communication, pourrait permettre aux médiateurs d’élaborer des stratégies pour toucher ce public jugé distant. Les jeunes, de leur côté, montrent une méconnaissance généralisée des bibliothèques et de leur personnel, bien qu’ils tendent à reconnaître des qualités aux lieux. Aussi les enquêtes sur le sujet3M. Burgos, et al., Des jeunes et des bibliothèques : trois études sur la fréquentation juvénile, éd. de la Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2003 ; V. Repaire et C. Touitou, Les 11-18 ans et les bibliothèques municipales, éd. de la Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2009. incitent-elles fortement à promouvoir et à rétablir une image réaliste du métier, des supports et des espaces en bibliothèques, notamment par le biais du développement de la communication.

 La bibliothèque, un lieu trop sérieux et silencieux pour les jeunes

Les résultats de l’enquête de la Bpi auprès des 11-18 ans et des bibliothèques municipales4ibid. font état d’une première faiblesse dans la perception qu’en ont les jeunes interrogés. Lieu du livre tant dans les usages que dans les représentations, la bibliothèque est pour eux un endroit sérieux, en permanence dans le silence (avec une connotation négative). Ils ressentent une indifférence largement assumée face à un espace dont ils estiment ne pas avoir besoin, dans lequel ils ne se sentent pas à l’aise avec leurs pairs et qu’ils trouvent investi seulement par les petits ou par les personnes âgées. En outre, ils n’en maîtrisent ni l’organisation spatiale ni les règles, qu’ils ne connaissent pas ou n’acceptent pas. La représentation du métier est totalement liée à celle que les 11-18 ans se font du lieu : statique et ennuyeux, solitaire, la communication des professionnels avec les jeunes leur semble limitée et ponctuelle.

Ce problème d’image, en partie à l’origine de la désaffection des jeunes, est aggravé par des facteurs mis au jour par le sondage national de 2012 sur les nouvelles pratiques de lecture chez les 7-15 ans5Les 7-15 ans et les nouvelles pratiques de lecture, Gallimard Jeunesse/Le Parisien/Aujourd’hui/Ipsos MediaCT, 2012.. Cette enquête montre qu’à partir de 11 ou 12 ans, les pratiques de lecture décrochent là où les échanges avec les amis ou les premières inscriptions sur les réseaux sociaux s’intensifient. Cette première vague de désaffection pour la lecture, à l’entrée au collège, correspond à une baisse de la fréquentation en bibliothèque, assortie d’une deuxième vague d’abandon lors de l’entrée au lycée.

Cette première vague de désaffection pour la lecture, à l’entrée au collège, correspond à une baisse de la fréquentation en bibliothèque, assortie d’une deuxième vague d’abandon lors de l’entrée au lycée

Les adolescents « vivent souvent un épisode de détachement ou d’appropriation plus ou moins transgressive des lieux, associés au rejet ou au désamour à l’égard de l’écrit, ce qui les conduit […] à mettre un terme à une histoire commencée souvent avec un certain bonheur à l’orée de l’âge dit de raison, et parfois même bien avant6M. Burgos, voir note 3. ». À cela s’ajoutent les particularités de la génération Z7 Toutefois, selon certaines études, les 16-18 ans comptent parfois parmi les plus jeunes représentants de la génération Y. ou zozos8Zozos pour « zoom zombies ». J.-L. Excousseau, La Mosaïque des générations : comprendre les sensibilités et les habitudes des Français, éd. d’Organisation, 2000., les actuels 11-18 ans, qui multiplient les pratiques culturelles notamment numériques, et dont les pratiques informationnelles sont résolument tournées vers la recherche du ludique et de la socialisation. Ce constat corrobore l’importance de cibler ces jeunes avant qu’ils ne délaissent les bibliothèques. Comme l’indiquent Virginie Repaire et Cécile Touitou9Voir note 3. en ouverture de leur enquête, « l’image a plus d’impact sur les usages qu’une simple modification de l’offre de services qui ne serait pas relayée par une forte communication ».

Communiquer, dans quels buts ? Faire découvrir, fidéliser, faire cohabiter 

Les enjeux de l’image et de la réputation sont particulièrement d’actualité. La majorité des collectivités territoriales disposent d’ailleurs d’un service dédié afin de gérer la communication et de faire valoir leur existence et leurs actions. Au vu de la piètre image des bibliothèques auprès des jeunes, Virginie Repaire et Cécile Touitou préconisent quatre pistes d’action10 Ibid. « replacer le public jeune au cœur de la réflexion », « faire bouger l’offre de manière significative », « donner plus de visibilité à la bibliothèque et faire participer les jeunes », « dynamiser la relation avec les publics jeunes et les autres partenaires ». pour restaurer la réalité des bibliothèques, dont la communication fait partie. Dans le cadre de mon mémoire sur la communication envers les 11-18 ans dans les bibliothèques, les répondants ont listé les objectifs primordiaux d’une stratégie de communication ciblant ces adolescents :

  • La découverte

− les faire venir −, afin que les adolescents non usagers se mettent à fréquenter les bibliothèques, surtout dans le cas d’un nouvel établissement, pour lequel on veut éviter à tout prix qu’il soit immédiatement perçu à travers le filtre de préjugés négatifs. Cet objectif recouvre tous les aspects de la bibliothèque. Comme les autres publics, les jeunes usagers passent à côté de certaines actions culturelles et ressources dont ils pourraient tirer profit. Il s’agit aussi, pour les établissements déjà existants, de gagner en visibilité auprès des adolescents ne les ayant jamais fréquentés dans leur enfance.

Quel impact ont ces évolutions sur les lieux investis par les adolescents ? Quel rapport entretiennent-ils avec les espaces de lecture contemporains ? Pour tenter de répondre à ces questions, considérons la notion d’espace de lecture de manière élargie et enrichie pour essayer de comprendre la multiplicité des expérimentations adolescentes.

  • La fidélisation

− les faire revenir −, afin que la bibliothèque reste dans leur paysage culturel. Il faut que, par le biais d’une fonction d’accueil réactive et attentive à ses différents publics, la première visite de l’adolescent soit satisfaisante au point qu’il veuille tenter à nouveau cette expérience. Il s’agit aussi de les fidéliser par un discours et des supports de communication adaptés en désacralisant l’image de la bibliothèque, dont la nature institutionnelle est si repoussante pour les adolescents. À la médiathèque de Fougères Communauté, pour inciter les jeunes à utiliser les applications de révision du bac et du brevet disponibles sur les tablettes numériques, des visuels ont été collés directement sur les tables où les jeunes posent habituellement leurs cahiers de révision. Il ne s’agissait pas d’informer précisément mais bien d’attirer le regard, c’est pourquoi ces visuels ont été conçus comme des mèmes internet11Un mème est un contenu repris et diffusé en masse sur internet (ndlr). , avec des images humoristiques, une typographie originale et un style rédactionnel relâché. La demande des jeunes pour l’utilisation des tablettes a sensiblement augmenté pendant cette période. En utilisant le support vidéo, la médiathèque de Lormont a également généré du lien avec le public adolescent en créant avec des lycéens des courts-métrages. Stéphane Torregrosa, animateur multimédia, confirme cette opération a « dépoussiéré l’image qu’ils pouvaient avoir d’une médiathèque. À tel point que désormais, en dehors du cadre scolaire, ces adolescents viennent nous solliciter pour participer avec nous aux évènements culturels de la médiathèque12http://www.squid-impact.fr/2013/12/16/la-comm-en-mediatheque/ ! ». L’accueil des jeunes de 3e se révèle aussi un potentiel formidable en plaçant le visiteur en position de demandeur (quelles que soient ses motivations), ce qui lui permet de découvrir, dans des conditions privilégiées, la réalité de la bibliothèque. Il se construit une image a priori favorable du lieu, du personnel et du métier, et la possibilité lui est offerte de devenir ensuite vecteur d’information envers ses pairs, de les amener à découvrir la bibliothèque et de les fidéliser.

  • L’adaptation

− les faire cohabiter −, afin que l’utilisation du lieu et des ressources par les jeunes soit respectueuse des usages des autres publics. La fonction d’accueil prend alors tout son sens. Si les bibliothécaires communiquent nécessairement pour faire respecter les règles en vigueur, la relation doit aussi se nouer personnellement afin de créer un lien entre l’adolescent et le bibliothécaire, connu et reconnu. Les bibliothèques de Plaine Commune l’ont bien compris en développant, à l’échelle du réseau, un guide d’accueil des jeunes, qui précise les procédures communes d’accueil et de gestion des conflits.

Focus sur quelques moyens d’action

La question du type de communication à élaborer se pose alors. Les bibliothécaires ont souvent une connaissance classique des supports et des actions qui permettent de toucher les adolescents : blogs, site web, affichage dans la section jeunesse, etc. Cependant, les répondants de mon enquête relèvent qu’il est utile d’effectuer une veille sur les stratégies marketing des marques ciblant le jeune public pour s’en inspirer. Cela suppose un mimétisme partiel avec le message commercial pour rassurer l’adolescent, qui identifie ainsi l’action de la bibliothèque comme digne d’intérêt, car déjà validée par ailleurs par ses pairs. Il en perçoit ainsi inconsciemment le potentiel de socialisation. En effet, quel adolescent voudrait adhérer ou partager une action qu’il ne jugerait pas valorisante pour lui et ne correspondrait pas à ses habitudes informationnelles ?

L’évolution fluctuante des pratiques culturelles et médiatiques des adolescents constitue un défi pour les bibliothécaires qui doivent déterminer les médiums à retenir pour construire la réputation de la bibliothèque auprès des adolescents, dans la mesure des moyens humains, des compétences disponibles, du temps imparti et du budget alloué.

Les supports de communication permettant une sociabilité numérique sont particulièrement conseillés : QR code13Le QR code est un code barre à 2 dimensions permettant de stocker des informations numériques (URL de site web, géolocalisation, évènement de calendrier, etc.). sur les supports imprimés (comme la médiathèque de Fougères Communauté qui intègre des QR code sur l’affiche du prix littéraire lycéen « C@Lire » et dans les brochures présentant les sélections CD), animation de communauté sur les réseaux sociaux, sur lesquels certaines bibliothèques ont déjà conçu un espace dédié aux jeunes14L’espace 11-14 ans de la bibliothèque de Rennes Métropole – La MeZZanine, anime une page Facebook distincte de la page du réseau des bibliothèques de Rennes ; au Canada, l’espace ados de la bibliothèque de Brossard – SODA, possède aussi une page dédiée. selon les tendances en vigueur.

Il est utile d’effectuer une veille sur les stratégies marketing des marques ciblant le jeune public pour s’en inspirer. Cela suppose un mimétisme partiel avec le message commercial pour rassurer l’adolescent, qui identifie ainsi l’action de la bibliothèque comme digne d’intérêt

Pour les adolescents avec lesquels les bibliothécaires ont créé une relation de pair à pair, diffuser l’information oralement au moment du passage du jeune dans l’établissement (à la banque de prêt, dans les différents espaces, lors d’une animation, etc.), est toujours couronné de succès. La communication peut aussi passer par le hors média, notamment par l’organisation d’événements, la communication par des objets (marque-page, crayon, mug, sac et tout autre goodies) et par le mass média15Les radios locales ayant un auditoire adolescent présentent une opportunité de partenariat pour créer du discours autour de ce qu’on veut valoriser : interview en prévision d’une animation ou d’un spectacle, témoignages de jeunes autour d’une animation passée, etc. si le budget et la finalité de l’action s’y prêtent. D’après les informations recueillies sur internet, ce dernier type de communication reste encore minoritaire dans les pratiques des professionnels16Voir la section « La communication » du forum Agorabib pour l’évolution de l’actualité : http://www.agorabib.fr/index.php/forum/36-la-communication/ .

Pour les réseaux sociaux en particulier, on peut noter que l’utilisation de Facebook, encore plébiscitée par les jeunes, est en baisse depuis 2012, alors que Twitter, Snapchat et surtout Instagram progressent nettement parmi les réseaux sociaux les plus utilisés par les adolescents aux États-Unis. https://www.blogdumoderateur.com/etude-piper-jaffray-spring-2017/

Ces données sont aisément exportables en France et méritent d’être prises en compte, si elles sont pondérées par une étude du public adolescent au niveau local. Les bibliothécaires reconnaissent le besoin d’étudier les pratiques culturelles du public adolescent17 Ce qui est justement l’objectif de Lecture Jeunesse dans ses formations de professionnels (ndlr). au sein de la bibliothèque et surtout en dehors. Afin de se repérer parmi cette classe d’âge hétérogène, les bibliothécaires pointent aussi l’importance de repérer les profils types des adolescents déterminés par des critères aussi variés que le genre, le degré d’autonomie pour accéder à la bibliothèque, le taux d’emprunt, le taux de fréquentation, la façon dont les espaces de la bibliothèque sont utilisés ou encore le fait que l’adolescent ait été ou non un public captif de la bibliothèque durant la période scolaire… Ces données facilitent par la suite le choix du plan d’action.

Difficultés et limites : penser sur le long terme avec un budget court

Les bibliothécaires interrogés dans le cadre de mon mémoire font ressortir que la communication envers les jeunes se fait souvent au coup par coup. Pourtant, en prenant le temps d’élaborer un plan de communication, avec un état des lieux (analyse et diagnostic), des recommandations, une stratégie (définition des axes, objectifs et cibles), des plans d’action et d’évaluation, on peut garantir le sens et la qualité de la communication envers ce public déjà très sollicité par les enseignes commerciales.

En prenant le temps d’élaborer un plan de communication, avec un état des lieux, des recommandations, une stratégie, des plans d’action et d’évaluation, on peut garantir le sens et la qualité de la communication envers ce public déjà très sollicité par les enseignes commerciales.

Les stratégies de communication des bibliothécaires sont surtout fortement freinées dans leur développement par des contraintes internes et externes. Mes entretiens ont fait ressortir que la principale limite est budgétaire : la communication est souvent intégrée au budget des animations et ne fait donc pas l’objet d’une évaluation financière propre, ou bien c’est le service Communication de la tutelle hiérarchique qui s’en charge. Dans une moindre mesure, la résistance peut aussi être du côté des bibliothécaires. L’absence de compétences spécifiques en communication et marketing au sein de l’équipe limite le champ de réflexion et engendre la mise en œuvre d’opérations sporadiques, plutôt que stratégiques. Il devient alors difficile d’évaluer la portée du travail accompli et d’utiliser cette analyse pour continuer les actions.

Analyse par Eva Garrouste

Eva Garrouste

Après un DUT et une Licence professionnelle Métiers du Livre, Eva Garrouste s’est formée à d’autres aspects du métier de bibliothécaire : management et communication. Dans le cadre de son mémoire de Master professionnel Communication et Générations à Bordeaux, elle a étudié la place de la communication envers les 11-18 ans dans les pratiques professionnelles en bibliothèques municipales et intercommunales.

Références

  • 1
    Lecture Jeune n°103, Le marketing : un savoir-faire au service de la lecture ?, 2002.
  • 2
    Gestion des acquisitions, élaboration d’animations et actions culturelles, accueil et orientation, etc.
  • 3
    M. Burgos, et al., Des jeunes et des bibliothèques : trois études sur la fréquentation juvénile, éd. de la Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2003 ; V. Repaire et C. Touitou, Les 11-18 ans et les bibliothèques municipales, éd. de la Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2009.
  • 4
    ibid.
  • 5
    Les 7-15 ans et les nouvelles pratiques de lecture, Gallimard Jeunesse/Le Parisien/Aujourd’hui/Ipsos MediaCT, 2012.
  • 6
    M. Burgos, voir note 3.
  • 7
    Toutefois, selon certaines études, les 16-18 ans comptent parfois parmi les plus jeunes représentants de la génération Y.
  • 8
    Zozos pour « zoom zombies ». J.-L. Excousseau, La Mosaïque des générations : comprendre les sensibilités et les habitudes des Français, éd. d’Organisation, 2000.
  • 9
    Voir note 3.
  • 10
    Ibid. « replacer le public jeune au cœur de la réflexion », « faire bouger l’offre de manière significative », « donner plus de visibilité à la bibliothèque et faire participer les jeunes », « dynamiser la relation avec les publics jeunes et les autres partenaires ».
  • 11
    Un mème est un contenu repris et diffusé en masse sur internet (ndlr).
  • 12
  • 13
    Le QR code est un code barre à 2 dimensions permettant de stocker des informations numériques (URL de site web, géolocalisation, évènement de calendrier, etc.).
  • 14
    L’espace 11-14 ans de la bibliothèque de Rennes Métropole – La MeZZanine, anime une page Facebook distincte de la page du réseau des bibliothèques de Rennes ; au Canada, l’espace ados de la bibliothèque de Brossard – SODA, possède aussi une page dédiée.
  • 15
    Les radios locales ayant un auditoire adolescent présentent une opportunité de partenariat pour créer du discours autour de ce qu’on veut valoriser : interview en prévision d’une animation ou d’un spectacle, témoignages de jeunes autour d’une animation passée, etc.
  • 16
    Voir la section « La communication » du forum Agorabib pour l’évolution de l’actualité : http://www.agorabib.fr/index.php/forum/36-la-communication/
  • 17
    Ce qui est justement l’objectif de Lecture Jeunesse dans ses formations de professionnels (ndlr).