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Le numérique, levier de prévention de l’illettrisme ?

Comment utiliser les technologies de l’information au travail, en société, dans sa vie privée lorsqu’on ne maîtrise ni la lecture, ni l’écriture ? Comment, dans ces conditions, chercher, recueillir et diffuser de l’information de manière autonome ? Comment utiliser de façon adaptée et pertinent le numérique pour apprendre et renouer avec la lecture, l’écriture et le calcul ? Ces questions se posent aujourd’hui avec d’autant plus de force que les outils numériques n’ont jamais été aussi présents dans notre vie quotidienne.

Illectronisme… un nouvel avatar de l’illettrisme ?

En 1978, ATD quart-monde invente le néologisme « illettrisme1Le terme apparaît pour la première fois en 1978 dans le rapport moral du mouvement ATD quart-monde, fondé en 1957 (Geffroy, Grasset-Morel, 2003). L’analphabétisme concerne les personnes qui n’ont jamais appris à lire et à écrire» pour qualifier la situation de personnes francophones qui ne maîtrisent pas suffisamment la communication écrite malgré leur scolarité. Depuis lors, l’avènement de la société de l’information et du savoir a fait émerger le besoin d’un usage minimal des TIC dans la vie quotidienne et professionnelle. Toutefois, après plusieurs expériences d’intégration des TIC dans l’éducation dès la fin des années 80, il a fallu attendre l’année scolaire 2000-2001 pour que s’instaure le Brevet informatique et Internet (B2i)2Voir le Bulletin Officiel du ministère de l’Education Nationale N°42 du 23-11-2000, et le site du B2i à l’école et au collège. Celui-ci a permis « l’alphabétisation numérique » (digital literacy) des premières générations de jeunes (comme le Passeport de compétences informatiques européen – PCIE3Le PCIE a été lancé en France par la fondation ECDL (European Computer Driving Licence ; ICDL au niveau international), l’autorité certifiante du principal programme international de certification des compétences informatiques, www.ecdl.org/ecdlfrench/–, pour les adultes)4On parle de digital illiteracy ou Computer illiteracy lorsque les individus ne se sont pas approprié les codes et usages numériques ou ne maîtrisent pas les outils informatiques.. Ceux qui n’ont pas acquis les compétences de base pour mener leur vie d’adulte malgré ces enseignements scolaires sont en situation d’illettrisme électronique. L’« illectronisme5Terme utilisé pour la 1ère fois en France par le 1er ministre L. Jospin, le 26 août 1999 à Hourtin : « L’essor des technologies de l’information ne doit pas creuser un « fossé numérique ». L’internet ne doit pas nourrir de nouvelles inégalités dans l’accès au savoir. Il revient au service public de veiller au développement équilibré de ces technologies sur le territoire national et à l’égal accès de tous aux contenus essentiels que diffusent ces réseaux. A travers l’école, en particulier, l’Etat peut prévenir « l’illectronisme », avant qu’il ne devienne un nouvel avatar de l’illettrisme ».», au sens indéfini et multiple, renvoie au « fossé » ou à la « fracture » numériques, en soulignant les difficultés d’accès à la société de l’information et de la connaissance.

Les rapports entre le numérique et la prévention de l’illettrisme

Partout en France, des acteurs de l’éducation formelle et informelle utilisent le numérique comme levier pour éviter le décrochage scolaire des jeunes. Le Forum permanent des pratiques de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI6Voir aussi les actes de la 2e rencontre européenne de la presse sociale, organisée en octobre 2008 par le Syndicat de la presse sociale sur le thème « De l’illettrisme à l’illectronisme : une même exclusion ? ».) qui s’est tenu à Lyon en février 2012 avait pour vocation de valoriser certaines de ces actions de terrain relayées sur le site Internet de l’agence. Il apparaît que si le numérique peut permettre de renouer avec la lecture et l’écriture, le support mal utilisé devient au contraire un frein : certains jeunes ne comprennent pas les usages éducatifs souhaités par les professeurs. Ensuite, l’incapacité à utiliser d’une manière adéquate l’outil numérique amplifierait les obstacles d’apprentissage des autres compétences du socle commun. Une pédagogie personnalisée, créative et une ingénierie inventive sont donc essentielles pour proposer une nouvelle manière de motiver les jeunes en difficulté.

Quelques recommandations

A partir des initiatives exposées lors du Forum permanent des pratiques7Voir les documents sur le site de l’agence ; le dossier spécial du magazine ANLCI Infos, n° 18 (disponible sur commande) et les principaux travaux du Forum permanent des pratiques dans le domaine des usages des TIC , l’ANLCI fait trois recommandations :

• Articuler et mettre en complémentarité, en cohérence, les actions relatives aux deux luttes, contre l’illettrisme et contre l’analphabétisme numérique pour qu’elles gagnent en efficacité et pertinence sur les deux plans. Ainsi, on évitera une nouvelle exclusion, une « double peine » chez les jeunes en difficulté. Quant à la prévention de la fracture numérique, notamment dans les usages, elle est inévitablement liée à la prévention de l’illettrisme ; car il s’agit bien de l’une des compétences de base.

• S’interroger à chaque moment de face-à-face sur les usages adaptés du numérique aux diverses stratégies d’apprentissage formel et informel. Une pédagogie innovante, adéquate tiendrait en compte les spécificités des outils et contenus numériques proposés aux jeunes en difficulté.

• Consolider en permanence la compétence numérique d’une manière fonctionnelle pour éviter que de nouvelles situations d’analphabétisme numérique (d’illectronisme) émergent, notamment avec l’arrivée de nouvelles technologies. Non intégrées par les jeunes en difficultés, ces nouvelles situations risquent d’accentuer l’illettrisme et freiner les apprentissages.

Enfin, rappelons que la prévention de l’illettrisme n’est pas uniquement l’affaire des «spécialistes ». Tout médiateur peut instaurer les conditions nécessaires pour qu’un jeune retrouve le plaisir de la communication écrite. La tentation de mettre les usages des TIC dans un champ à part existe. Il ne faut pourtant pas cloisonner les apprentissages et les actions mais les faire interagir.

Par Elie Maroun, propos mis en forme par Sonia de Leusse-Le Guillou, directrice de Lecture Jeunesse, article paru initialement dans la revue Lecture Jeune n° 143 (septembre 2012)

Pour prolonger la réflexion

Des liens vers les travaux de l’ANLCI sur ce thème :

  • Les journées ANLCI du numérique, ICI
  • Les principaux travaux du Forum permanent des pratiques dans le domaine des TIC, ICI

Elie Maroun

Elie Maroun est chargé de mission national à l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) depuis 2003, en charge du pilotage du Forum permanent des pratiques et des activités liées à la professionnalisation des acteurs et à l’usage des TIC. Il a une longue expérience dans l’enseignement, la formation d’enseignants et formateurs et la conduite de projets d’ingénierie et de développement de dispositifs de formation (elie.maroun@anlci.fr, www.anlci.gouv.fr).

Références

  • 1
    Le terme apparaît pour la première fois en 1978 dans le rapport moral du mouvement ATD quart-monde, fondé en 1957 (Geffroy, Grasset-Morel, 2003). L’analphabétisme concerne les personnes qui n’ont jamais appris à lire et à écrire
  • 2
  • 3
    Le PCIE a été lancé en France par la fondation ECDL (European Computer Driving Licence ; ICDL au niveau international), l’autorité certifiante du principal programme international de certification des compétences informatiques, www.ecdl.org/ecdlfrench/
  • 4
    On parle de digital illiteracy ou Computer illiteracy lorsque les individus ne se sont pas approprié les codes et usages numériques ou ne maîtrisent pas les outils informatiques.
  • 5
    Terme utilisé pour la 1ère fois en France par le 1er ministre L. Jospin, le 26 août 1999 à Hourtin : « L’essor des technologies de l’information ne doit pas creuser un « fossé numérique ». L’internet ne doit pas nourrir de nouvelles inégalités dans l’accès au savoir. Il revient au service public de veiller au développement équilibré de ces technologies sur le territoire national et à l’égal accès de tous aux contenus essentiels que diffusent ces réseaux. A travers l’école, en particulier, l’Etat peut prévenir « l’illectronisme », avant qu’il ne devienne un nouvel avatar de l’illettrisme ».
  • 6
    Voir aussi les actes de la 2e rencontre européenne de la presse sociale, organisée en octobre 2008 par le Syndicat de la presse sociale sur le thème « De l’illettrisme à l’illectronisme : une même exclusion ? ».
  • 7
    Voir les documents sur le site de l’agence ; le dossier spécial du magazine ANLCI Infos, n° 18 (disponible sur commande) et les principaux travaux du Forum permanent des pratiques dans le domaine des usages des TIC