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Les plateformes d’écriture en ligne

Les plateformes d’écriture en ligne fleurissent auprès de millions de jeunes qui créent leurs œuvres en réseau. Tout en réinventant les manières de concevoir une fiction, ces sites donnent un aperçu des genres de texte que les ados aiment lire… et écrire.

La locomotive Wattpad

Portée à la connaissance du grand public par le best-seller After de la jeune Anna Todd, la plateforme canadienne d’écriture en ligne, Wattpad, n’a pas attendu ce succès pour fédérer une large communauté de jeunes lecteurs. Le texte, écrit en grande partie sur téléphone portable, a connu un grand engouement quand l’auteur a annoncé que son personnage était inspiré de Harry Styles, le chanteur du groupe anglais One Direction. Car la fanfiction a la part belle sur la plateforme, comme la romance et la littérature pour adolescents et jeunes adultes, même si les genres des histoires postées se sont diversifiés à mesure que l’audience grandissait. Le réseau, fondé en 2006, se targue aujourd’hui de chiffres de fréquentations assez vertigineux : une audience mensuelle de 45 millions d’utilisateurs composée à 85 % de moins de 30 ans, essentiellement des femmes, des cessions d’environ 30 minutes, qui, pour 90 % des utilisateurs, s’effectuent à partir d’un mobile.

Le principe de base de la plateforme est de mettre en lien direct les auteurs avec leurs lecteurs. Les premiers postent leurs textes et les seconds commentent et réagissent. Les trois onglets du menu « découvrez », « créez » et « communauté » donnent le ton. Même si l’aspect communautaire qui comprend des prix, des concours ou des défis n’est pas traduit en français. L’auteur peut avoir accès à des statistiques détaillées sur le temps passé par ses lecteurs sur chaque segment d’histoire, pour cerner ainsi les éventuels décrochages. Les commentaires sur les textes se cantonnent bien souvent à demander la suite, et l’orthographe peut être approximative. Cependant, le site permet d’observer les intérêts de la génération qui le fréquente. La romance, la fanfiction et la fantasy prédominent. En dehors de ces genres phares, des vagues d’écrits déferlent en fonction des modes : le jeu Pokémon Go, la sortie du film Suicide Squad… Par sa forte audience jeune, Wattpad permet de capter ces instantanés des cultures adolescentes.

Les commentaires sur les textes se cantonnent bien souvent à demander la suite, et l’orthographe peut être approximative

Par ailleurs, la plateforme n’a pas manqué de susciter l’intérêt des éditeurs. Elle offre en effet la possibilité de trouver un auteur qui a déjà fédéré une communauté de lecteurs, prêts à acheter la version papier de l’œuvre lue en ligne. Michel Lafon a fait paraître début 2016 Phoneplay, l’histoire de la jeune Morgane Bicail, 15 ans, qui avait déjà mobilisé des millions de lecteurs avant de rencontrer le succès en librairie. Après avoir testé différentes modalités pour définir son modèle économique, Wattpad semble s’orienter vers la publicité native, avec des partenariats pour mettre en valeur la fanfiction lors de sorties de film, comme par exemple, Nos étoiles contraires1http://lafeuille.blog.lemonde.fr/2015/04/05/wattpad-le-youtube-de-lecriture/.

Des modèles à (ré)inventer

Si Wattpad est le site le plus fréquentés, d’autres initiatives voient le jour. Pour ces sites, souvent gratuits pour les utilisateurs, les modes de fonctionnement varient et se cherchent encore, notamment sur la question du modèle économique.
Dans le sillage du leader canadien, Amazon a lancé en mars 2015 sa propre plateforme, Write On. Le site souhaite, à l’instar de son principal concurrent, fédérer une communauté. Il met en avant les textes en attente d’un retour, les tendances et les derniers partages. Le principe est basé sur celui de l’autopublication. Si un auteur souhaite être publié par un professionnel, le site conseille de retirer l’histoire puisqu’il se revendique comme laboratoire de création pour améliorer ses écrits2http://www.livreshebdo.fr/article/avec-write-amazon-veut-concurrencer-wattpad.

Amazon a lancé en mars 2015 sa propre plateforme, Write On

Scribay revendique une approche plus littéraire. La plateforme permet l’échange entre auteurs et lecteurs, mais offre également la possibilité d’annoter les écrits pour faire part de ses remarques. Il est aussi possible de participer à des défis littéraires lancés par les membres de la communauté : phrases, genres ou thèmes imposés, les points de départ sont multiples.
Fyctia est la plateforme lancée par l’éditeur Hugo & Cie. Elle propose des thèmes à la communauté qui dispose d’un temps déterminé pour écrire un texte dans un genre défini (romance, Young Adult, thriller ou « univers alternatif », qui a remplacé la fanfiction proposée aux débuts du site). Pour pouvoir avancer dans la progression de leur histoire, les participants doivent avoir recueilli un certain nombre de votes des utilisateurs. Les lauréats sont édités dans la collection numérique de la maison, « La Condamine ». Avec ses tons de rose et ses thèmes, Fyctia vise très clairement le public féminin qui officie majoritairement sur Wattpad. Le parti-pris de la plateforme est de devenir, en quelque sorte, l’agent littéraire des textes publiés en ligne, puisque le règlement induit une clause de cession des droits. L’utilisateur s’engage également à prévenir l’éditeur si son texte suscite l’intérêt d’une autre maison d’édition, lequel aura alors un pourcentage sur l’éventuel contrat conclu. Cette clause suscite de vives réactions, notamment dans le monde de la fanfiction3http://ecrireunefanfiction.com/pourquoi-vous-ne-devriez-pas-publier-sur-fyctia/.

Welovewords propose également des concours mais, l’approche du site étant de réunir des auteurs-rédacteurs, le forme n’est pas forcément celle d’une histoire en épisodes. Il peut s’agir d’une chronique ou d’un texte bref. Les utilisateurs cochent leurs compétences d’écriture : scénariste, journaliste, écrivain, chroniqueur, slammeur, etc. Les thèmes sont souvent induits par une marque partenaire : traiter le « vivre mieux » pour la collection « Pour les nuls », inventer son logement parfait pour ScoreVisit, un concours de nouvelles avec L’Occitane en Provence…

Une nouvelle création littéraire ?

Le sentiment dominant sur ces différents sites est celui du plaisir d’écrire et surtout de partager ses écrits. Ce qu’impliquent ces plateformes, dans la continuité de ce qu’avaient pu être les blogs avant elle, c’est surtout le retour du roman-feuilleton comme le soulignait déjà Roch Côté en 2009.

Connectés sur leurs téléphones, les auteurs peuvent à tout moment être sollicités.

Les lecteurs ont la possibilité d’assister au déroulement par épisode d’un œuvre en cours de création, dans laquelle l’auteur doit capter l’attention de son public pour le fidéliser. La différence avec le feuilleton classique, c’est que le rapport au temps s’est considérablement accéléré. Connectés sur leurs téléphones, les auteurs peuvent à tout moment être sollicités. Anna Todd a confié avoir passé 8 heures sur son téléphone par jour au moment de l’écriture de sa série : 5 heures de rédaction et 3 heures à interagir avec ses lecteurs et sur les réseaux sociaux. Elle affirme d’ailleurs ne savoir écrire que socialement.
Ce qu’amènent en outre ces plateformes, c’est la possibilité pour chacun de rencontrer un public. L’écrivain n’attend plus l’aval d’un éditeur pour exister en tant que tel – même si pour beaucoup, cette perspective demeure le Graal. Ces plateformes permettent – et c’est pour certaines le but assumé – de démocratiser l’écriture en permettant aux auteurs de rencontrer leur lectorat, d’échanger et de perfectionner leurs écrits comme dans un grand atelier connecté.

PANORAMA PAR MARIEKE MILLE, RÉDACTRICE EN CHEF
PARU INITIALEMENT DANS LE N°159 DE LECTURE JEUNE, L’ÉCRITURE DES JEUNES ET LES JEUNES AUTEURS, SEPTEMBRE 2016

Références