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Le numérique au service des apprentissages pour les collégiens et les lycéens

Michael Stora (voir l’article « L’adolescence à l’épreuve du virtuel, entre construction identitaire et excès ») mentionnait la complémentarité du ludique – encore loin des conceptions pédagogiques scolaires – et de l’apprentissage. Pour Pascal Cotentin, il est effectivement nécessaire d’apprendre et d’enseigner autrement. Il s’agit désormais de se former, d’échanger, de collaborer, d’innover : tous les métiers de demain exigent des compétences numériques. Il y a donc urgence à faire évoluer l’école pour que tous les élèves puissent réussir. À partir d’exemples d’usages en classe dans l’académie de Versailles, Pascal Cotentin montre que le numérique est un véritable levier de changement et un moyen d’agir sur l’avenir.

Sonia de Leusse-Le Guillou : Quelle est la priorité de l’académie de Versailles ?
Pascal Cotentin : Nous essayons de construire une académie numérique pour prendre l’élève dans sa globalité. L’école ne peut pas rester en marge de la société numérique ; il faut modifier en profondeur la conception des inégalités, pour proposer une égalité des chances dans la réussite. Il s’agit d’une pédagogie des « petits pas » qui évolue progressivement, lentement, notamment à cause des disparités dans l’accès à Internet. Nous collaborons avec les établissements sur un projet et essayons de leur donner de l’autonomie mais il y a aussi un important travail d’accompagnement.

SLG : Quelle est la particularité de votre secteur ?
PC : C’est la plus grande des académies, qui accueille près de 10 % des élèves de France. Certaines villes sont connues, plutôt riches, mais il y a aussi une forte ruralité. Pour que nos projets fonctionnent, il faut une bonne connexion à Internet, ce qui est parfois difficile à faire comprendre aux différentes collectivités. La fracture numérique n’est pas toujours là où on l’imagine. Par exemple, à Mantes on trouve une meilleure connexion qu’en centre-ville de Versailles. Nous travaillons donc à différents niveaux sur les « leviers du changement » pour accompagner les professionnels au plus près du terrain et développer les projets au fur et à mesure, en fonction de la créativité de nos interlocuteurs et de notre capacité d’innovation.

SLG : Qu’est-ce qui caractérise votre démarche ?
PC : Nous plaçons au centre de nos actions la notion d’apprentissage : le développement de nouvelles pratiques amène des usages complètement différents. Il ne faut pas avoir peur de se lancer et de travailler autrement.

SLG : En quoi le numérique peut-il modifier l’environnement scolaire ?
PC : La vie scolaire elle-même est fortement touchée par le numérique et les lieux évoluent en conséquence (salle d’étude, CDI). Par exemple, une salle de travail avec 30 postes informatiques ne donne pas du tout la même ambiance qu’une classe avec un surveillant et des chaises. Nous tentons d’aménager de nouveaux espaces et de nouveaux temps (en classe et hors-les-murs) pour prolonger l’acte pédagogique à la maison. Il faut alors être vigilant pour prévenir les inégalités car hors de l’établissement scolaire, les élèves n’ont ni le même matériel ni le même accès à internet.

SLG : En quoi le numérique a-t-il des apports spécifiques par rapport à l’enseignement traditionnel ?
PC : Le numérique permet d’être autonome. Cette notion d’individualisation est très importante pour l’élève, qui se sent moins noyé dans la masse du groupe. De plus, le côté nomade est attractif pour les jeunes qui veulent accéder à l’information en instantané et être connectés en réseau en permanence. La particularité – et l’avantage – qu’on retrouve avec les tablettes, c’est qu’elles ne modifient pas le poste de travail. Leur utilisation est très rapide à mettre en œuvre mais elles s’écartent tout aussi facilement pour laisser la place à d’autres activités.

SLG : Comment les enseignants utilisent-ils les outils technologiques ?
PC : Il y a de nombreuses façons de les intégrer aux cours. Par exemple, une enseignante d’anglais utilisait la balado-diffusion au collège. Les élèves devaient regarder des vidéos sur Ipad puis enregistrer un argumentaire d’une minute sur les apports de la citoyenneté européenne. Chacun pouvait ainsi travailler à son rythme, regarder les vidéos autant de fois que nécessaire pour les comprendre, s’enregistrer, etc. Grâce à la synchronisation, l’enseignante récupérait le devoir de l’élève, l’écoutait et le notait sans l’interrompre ni le faire répéter. L’évaluation s’avérait plus rapide et moins contraignante à organiser (il n’était plus nécessaire de trouver une salle où s’isoler avec chaque élève).

SLG : Quel est le bilan dressé par les enseignants de langues ?
PC : Avec leurs collègues de lettres, ils constatent que les élèves, en s’enregistrant, parlent et lisent beaucoup plus. La qualité ne varie pas forcément mais la quantité augmente. J’insiste à nouveau sur la notion d’individualisation : l’élève a le sentiment que son devoir va vraiment être écouté !

SLG : Comment les enseignants s’approprient-ils ces outils ?
PC : C’est un point essentiel : on ne peut pas donner un équipement aux élèves sans avoir formé en amont les enseignants. Disposer de matériel sans savoir l’utiliser n’a pas de sens. C’est la raison pour laquelle nous accompagnons les enseignants vers leur objectif pédagogique. De plus, nous essayons de mutualiser les expériences et d’échanger le plus souvent possible autour de la question du numérique en classe, de façon à ce que chacun ne réinvente pas ce que le voisin a déjà expérimenté. Aussi mettons-nous en ligne des conférences qui peuvent profiter à tout le monde pour réduire les inégalités. Ces échanges rencontrent un vif succès pour les disciplines spécifiques dans lesquelles il y a peu de professeurs. Nous avons par exemple deux sites très bien documentés sur les outils numériques autour de l’apprentissage de la langue arabe et du russe, ou encore sur les métiers de l’hôtellerie.

SLG : Pourriez-vous nous énumérer quelques outils numériques qui ont pénétré dans les classes ?
PC : Sont apparus le tableau numérique – qui de plus en plus va disparaître au profit d’un mur numérique –, la communication autour des différentes versions de l’Environnement Numérique de Travail (ENT). Actuellement, nous testons des activités avec des tablettes tactiles, que nous espérons diffuser à plus grande échelle, suivant la maîtrise des enseignants. Enfin, s’est beaucoup développé tout un travail autour de la pratique orale et des activités de communication à l’aide de la balado ou de la visio-diffusion. Finalement, nous proposons des supports et des projets valorisant l’aspect ludo-pédagogique. Les jeunes sont attirés par les outils technologiques. Il faut donc partir de l’appétence des élèves pour le virtuel et les ramener vers des travaux plus scolaires.

SLG : Est-ce seulement au sein de la classe que les jeunes bénéficient de ces supports numériques ?
PC : Non. Il est important aussi de prolonger le travail à la maison et de voir ce que l’on peut mettre en place lors d’activités péri-éducatives. Nous avons tenté l’expérience de la « tablette nomade » (en partenariat avec Orange et le système d’exploitation Android pour Samsung) au collège1Pour voir les diapositives de présentation des projets mentionnés : www.projet-ten.fr/ et www.eed.ac-versailles.fr/SPIP2/IMG/pdf/presentation_tablette_numerique.pdf : il s’agit d’une tablette connectée en 3G et disponible 24h/24 pour l’élève, qui peut alors la rapporter à la maison. Cette tablette est équipée d’un filtre pédagogique ; l’élève ne peut pas aller sur d’autres sites que ceux définis par les enseignants mais il dispose d’un « cartable numérique » construit par ses professeurs qui peuvent ainsi proposer davantage de ressources. Sur 500 tablettes, deux seulement ont été endommagées sans qu’aucun autre problème ne nous ait été signalé. Il y a donc un grand respect des élèves, honorés qu’on leur fasse confiance, pour le matériel. Bien sûr, les enseignants sont formés avant que les jeunes ne reçoivent ces supports. Pour compléter le dispositif, les parents et les enfants suivent une conférence d’éducation aux médias, aux dangers de l’internet mais aussi aux avantages et aux plaisirs qu’on peut en tirer.

SLG : Qu’en pensent les enseignants ?
PC : Les tablettes sont globalement un élément positif pour la pédagogie. Il y a eu de bons retours : aucun enseignant ne souhaite revenir en arrière et de plus en plus de professeurs veulent entrer dans le dispositif même si cela reste progressif. Selon les dernières statistiques, les enseignants se servent des tablettes environ 15 à 20 minutes par séquence. Ils s’impliquent également plus, en commençant à poster leurs propres reportages sur les projets qu’ils mènent avec leurs élèves (des enseignants d’EPS y ont vu des avantages pour mieux expliquer les consignes, ceux de SVT ont utilisé les tablettes pour enregistrer des vidéos lors d’une sortie d’observation afin de constituer un herbier sans endommager l’écosystème – l’engouement de la part des élèves était plus important que dans la constitution d’un herbier papier traditionnel.

SLG : L’aspect ludique serait donc celui qui prime ?
PC : Il est certes important mais c’est loin d’être le seul intérêt de ces outils numériques. Cette année, nous avons expérimenté l’utilisation de tablettes en lycée professionnel. Les jeunes devaient émettre des hypothèses pour déterminer des causes de panne sur des machines. Selon les élèves, la tablette facilitait le rassemblement des informations et leur classement d’une manière plus pratique et concise. Les impressions d’écran leur permettaient de garder en mémoire leurs schémas électriques, de pointer et détailler exactement la partie qui les intéressait et ainsi, d’avancer plus vite. Enfin, auparavant, les jeunes devaient chercher manuellement les documents nécessaires à leur travail dans de volumineux classeurs – à raison d’un pour… 15 élèves ! Désormais, ils disposent de ces ressources sur leur tablette. Et comme tout est centralisé, leur enseignant constate qu’ils ont envie de compléter ces documents, de prendre des photos et de rendre compte de leur intervention beaucoup plus qu’ils ne le faisaient avant. Plus important encore, ce dispositif a changé l’image et l’approche qu’ils avaient d’eux-mêmes, de leur propre apprentissage et de leur futur métier, comme en témoigne l’un des élèves en disant qu’ils ont « l’impression d’être des ingénieurs avec [leurs] tablettes à la main ». Certains ont gagné en confiance en eux, notion primordiale pour les jeunes de lycée professionnel dont beaucoup se sentent « inférieurs » aux classes générales.

SLG : Y a-t-il d’autres types d’expériences porteuses pour les collégiens ou les lycéens menées dans l’académie de Versailles ?
PC : Des enseignants ont utilisé des boîtiers de réponses au collège, par exemple en mathématiques, pour répondre à une série de questions sur les fractions. L’intérêt majeur du boîtier réside dans l’implication des élèves. Ceux qui n’auraient pas levé la main, pris la parole en public vont répondre parce que cet objet joue le rôle d’intermédiaire entre eux et le professeur. L’enseignant a instantanément la réponse de chacun à ses questions et peut ainsi mesurer le niveau de la classe par rapport à l’exercice demandé. Cette fois, l’anonymat est l’aspect essentiel de l’expérience, également tentée avec des élèves de BTS qui, bien que plus âgés, osaient participer davantage. L’enseignant s’est ainsi rendu compte que la notion étudiée n’était pas acquise et il a pu recommencer son cours.

SLG : Quelle est votre vision de l’école numérique du futur ?
PC : Elle doit offrir de plus en plus de services en lignes, des outils d’apprentissage pour individualiser les rythmes de travail et des espaces ludo-éducatifs qui prolongent l’acte d’éduquer. Enfin, les supports doivent être obligatoirement « nomades » et pouvoir s’utiliser hors de l’école. Idéalement, ces ressources doivent aussi être gratuites : d’ici 3 à 4 ans, 50 % de celles utilisées en classe auront été produites par les enseignants et les élèves grâce au travail collaboratif et à l’échange communautaire entre les membres de l’académie. SLG : Quelle sera la différence majeure de cette école de demain avec la pédagogie actuelle ? PC : Je répondrais en insistant à nouveau sur la notion d’individualisation. Actuellement, le positionnement éducatif est placé sur le collectif. Or il est nécessaire d’obtenir une personnalisation des parcours pour lutter contre les inégalités et permettre la progression de chaque élève.

Par Pascal Cotentin, propos mis en forme par Sonia de Leusse le Guillou, directrice de Lecture Jeunesse. Article paru dans la revue Lecture Jeune 143 (septembre 2012).

Pascal Cotentin

est Inspecteur d’académie, conseiller de Monsieur le recteur pour les TICE, directeur du Centre Régional de Documentation Pédagogique (CRDP) de Versailles2http://www.crdp.ac-versailles.fr/.

Références