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Lectures et vocations scientifiques chez les filles

La lecture peut-elle contribuer à réduire les inégalités de genre en sciences en suscitant chez les filles des vocations scientifiques ?

C’est autour de cette question que se sont réunis Clémence Perronnet, sociologue et chercheuse à l’Agence Phare, Michèle Salifou, médiathécaire à la Maison de Solenn et François Millet, co-fondateur du Dôme[1] de Caen lors d’un webinaire organisé le 3 octobre dernier par Lecture Jeunesse avec le soutien du Ministère de la Culture. Agnès Saal, haute-fonctionnaire à l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations au Ministère de la Culture a introduit la séance avec Camille Vincent, directrice de Lecture Jeunesse. Animées par Marine Doinel, coordinatrice de projets chez Lecture Jeunesse, les trois interventions ont ensuite examiné l’influence de la culture sur le rapport des filles aux sciences et proposé des exemples concrets de médiation et de lectures pour favoriser l’engagement des filles vers les sciences.

Lutter contre les inégalités de genre en sciences par la culture : une priorité commune du Ministère de la Culture et de Lecture Jeunesse

Agnès Saal a souligné en introduction la priorité donnée par le Ministère de la Culture à la lutte contre toutes les formes de discriminations en général, et celles liées au genre en particulier. Après avoir rappelé l’enjeu majeur de société que représente l’accès des filles aux filières scientifiques, elle est revenue sur l’engagement du Ministère de la Culture en faveur de la déconstruction de certains contenus culturels afin de lutter contre les stéréotypes. Camille Vincent a poursuivi en présentant l’intérêt de longue date de Lecture Jeunesse pour l’étude de la culture scientifique juvénile, intérêt porté par la conviction que la capacité à lire des ressources à caractère scientifique est indispensable à la construction de l’esprit critique des citoyens de demain.  

Investir le pouvoir incluant de la fiction

Clémence Perronnet a ensuite présenté les principaux résultats de son étude sur l’influence des objets culturels sur l’orientation des filles en sciences. Après avoir dressé un état des lieux des inégalités de genre dans ces domaines, elle a examiné l’influence des pratiques culturelles sur les représentations qu’ont les filles des sciences, puis discuté de la manière dont ces pratiques pourraient constituer un levier pour agir contre ces inégalités. La chercheuse a d’abord pointé l’absence de loisirs scientifiques chez la grande majorité des adolescentes interrogées, et montré comment cette absence pouvait alimenter un sentiment d’incompétence en sciences. Elle a ensuite souligné l’invisibilisation et la stéréotypisation des femmes scientifiques dans les objets culturels potentiellement fréquentés par les filles, avant de conclure sur l’importance de proposer, dans la production culturelle, des modèles de femmes scientifiques ordinaires et accessibles auxquelles les adolescentes puissent s’identifier.

Encourager les lectures scientifiques à travers des médiations

Michèle Salifou a ensuite présenté un projet de médiation scientifique[2] conduit pendant un mois avec un groupe d’adolescents constitué d’une majorité de filles. Ce projet avait pour objectif d’encourager la lecture de différentes ressources en lien avec les sciences (ouvrages de vulgarisation, bandes-dessinées, articles de journaux, ouvrages documentaires, etc.) en vue de la préparation d’un débat autour du transhumanisme. Si ce projet a tout d’abord révélé une certaine distance des filles à l’égard des ressources scientifiques ou traitant de questions scientifiques sous une forme fictionnelle, il a également permis à certaines d’entre elles de dépasser cette réserve initiale en suscitant un réel intérêt et une curiosité pour le thème scientifique étudié. C’est ce qu’explique l’une des participantes lors du bilan du projet : « J’aime pas forcément lire tout ce qui est science-fiction, tout ça… mais là ça m’a emmenée et j’ai pu découvrir que cela me plaisait plutôt bien. ». Dans tous les cas c’est le projet de débat qui a motivé l’entrée des filles dans ces lectures, en permettant de dépasser leurs résistances premières.

Renouveler les références à proposer en lecture aux adolescentes

Lors d’une dernière intervention, François Millet a présenté une sélection de bandes-dessinées mettant en scène des personnages féminins évoluant dans des univers scientifiques. Couvrant différents genres (vulgarisation, reportage scientifique, histoire, science-fiction, etc.), ce balayage bibliographique, non exhaustif, a offert aux médiateurs des pistes de lecture à proposer aux adolescentes. Ces ouvrages mettent en avant des femmes scientifiques non stéréotypées pouvant favoriser un processus d’identification chez les adolescentes et ainsi leur donner envie au de s’intéresser aux sciences. Ils peuvent aussi servir de base, lors de cercle de lecture incluant les adolescents garçons, à d’intéressantes discussions pour mettre à distance stéréotypes et représentations convenues des métiers.

Marine Doinel a clôturé la séance en soulignant à nouveau l’acuité avec laquelle se pose la question de la présence des femmes dans les filières scientifiques. Outre les statistiques signalant un déclin de la part de filles dans les matières scientifiques après la réforme du bac en 2018[3], les résultats récents de l’évaluation à l’entrée en 6ème montrent les filles plus en difficulté que les garçons sur certaines questions mathématiques[4]. Or, compte-tenu des enjeux de la société de demain – les évolutions technologiques et les questions écologiques vont nécessiter des compétences scientifiques – le développement de l’appétence des filles pour les sciences constitue donc un enjeu crucial. C’est pourquoi il faut identifier des leviers à activer pour favoriser cette appétence. Une piste possible est de travailler sur les représentations qui font obstacle à l’investissement féminin dans ces domaines.

Les pouvoirs publics, conscients du problème, œuvrent dans ce sens : l’Institut Poincaré, musée consacré aux mathématiques récemment créé sous l’impulsion de Cédric Villani, accorde une place importante à la mise en valeur des femmes au sein de son espace.

Des associations – et Lecture Jeunesse en fait partie au premier titre – ont aussi un rôle à jouer au vu de l’influence que peut avoir la lecture sur les représentations. L’enjeu est de renouveler l’offre de lecture à proposer aux filles avec d’une part des références d’ouvrages à caractère scientifique, mais également des fictions présentant des images diversifiées de personnages féminins qui puissent faciliter les processus d’identification chez les lectrices. Les bibliographies proposées dans le cadre des webinaires de Lecture Jeunesse constituent ainsi des ressources intéressantes à mobiliser[5].

Enfin, un autre levier réside dans la conception de dispositifs de médiation permettant de dépasser les éventuelles réticences des adolescentes à l’égard de ces lectures. Des projets comme Cortex proposé par Lecture Jeunesse, s’inscrivent dans cette perspective s’ils sont conduits avec une attention particulière à l’activité des filles dans la conduite du projet.

Sensibiliser les médiateurs à la problématique des filles et des sciences, les informer sur les ouvrages et dispositifs permettant de l’adresser… Tel était l’objectif de cette session car c’est en explorant toutes ces voies que l’on peut espérer quelques évolutions.

Par Aurore Mantel, chargée de mission pour l’Observatoire de la lecture et de l’écriture des adolescents chez Lecture Jeunesse


[1] Centre de Culture Scientifique, Technique et Industrielle de Caen

[2] Il s’agit d’un projet Cortex encadré par Lecture Jeunesse. Pour en savoir plus sur les projets Cortex, rendez-vous sur la page consacrée sur le site de Lecture Jeunesse 

[3] DEPP, Repères et Références Statistiques, données analysées par la Société Française de Mathématiques (Mélanie Guenais, 2021)

[4] La note d’alerte du Conseil scientifique de l’éducation nationale publiée en septembre 2023 est disponible en ligne 

[5] En plus de la bibliographie de François Millet, voir celle constituée par Universcience dans le cadre du panier du médiateur « Lire et s’informer scientifiquement, cela s’apprend ! ».